SUPPORTS / SURFACES

Minimalisme jouissif

Par Itzhak Goldberg · Le Journal des Arts

Le 29 novembre 2017 - 663 mots

Le Carré d’art redonne vie et vigueur à la réflexion féconde de Supports/Surfaces dans une exposition dont le projet n’était pourtant pas exempt d’écueils.

Nîmes. Exposer Supports/Surfaces à Nîmes, dans le Midi, pratiquement dans le « pays » de ses artistes, n’était pas sans risque. L’entreprise aurait pu vite tourner en autocélébration ou bien aboutir à une rétrospective répétitive et ennuyeuse. Un autre danger, et non le moindre, aurait été de traiter ce dernier groupe d’avant-garde français comme un thème sociologique, cent fois rebattu. Risque d’autant plus présent que les membres de Supports/Surfaces ont développé un ample discours théorique, frôlant parfois le jargon, qui projetait une ombre géante sur leur pratique plastique. Rassurons-nous, l’exposition du Carré d’art a su éviter tous ces écueils en offrant au visiteur un véritable panorama de cette production protéiforme.

Soyons toutefois précis : le titre de cette manifestation, « Supports/Surfaces, les origines, 1966-1970 », a permis à son commissaire, Romain Mathieu, d’y inclure des artistes qui ne faisaient pas partie du groupe mais dont l’expérimentation allait dans le même sens. Expérimentation, car aujourd’hui encore on reste étonné par leur audace et par l’incroyable diversité des gestes et des matières employés. Toiles libres, toiles de bâche, pliages, tressages, tissus divers, cordes nouées…, la liste est longue, car chacun des participants du groupe offre sa version plus ou moins radicale de l’œuvre d’art mise à nu.

La matérialité de l’œuvre
Dans ce strip-tease pictural, dès 1966 sont passés en revue tous les constituants physiques du tableau de chevalet – toile, cadre, châssis –, chaque artiste se donnant un champ d’étude et d’action spécifique. L’activité picturale, qui exclut toute image de référence, s’inscrit dans la réflexion avant-gardiste des gouaches découpées menée par Matisse, puis dans celle, plus récente, de Simon Hantaï avec ses pliages et ses fraisages, de François Rouan et ses tressages, ou de Pierre Buraglio et ses agrafages, dont un bel exemple est exposé ici.

Claude Viallat ou Daniel Dezeuze, Marc Devade ou Noël Dolla cherchent sans exception à démystifier l’objet artistique en montrant l’éventail des différentes techniques et manipulations qui participent au processus de sa fabrication. Devade réalise des toiles composées de bandes horizontales et verticales, Patrick Saytour propose des bâtons peints de bandes de couleur, Dolla étale ses serpillières colorées, Christian Jaccard fabrique ses « nœuds-outils »… Tous ces artistes ont en commun la volonté de dévoiler les composants les plus « primitifs » de l’objet artistique. Si leurs travaux ont été à l’occasion réunis sous l’intitulé de « peinture fondamentale » ou de « peinture analytique », c’est le terme de « déconstruction » qui répond le mieux à leurs aspirations car il renvoie directement à la matérialité de l’œuvre, envisagée dans sa réalité la plus élémentaire.

Moins nombreux, les sculpteurs ne sont pas en reste, travaillant surtout le bois. Toni Grand – c’est dommage – est peu présent au musée, mais on découvre, chez Bernard Pagès, à côté des assemblages et façonnages bruts, une œuvre splendide, réalisée à partir de quelques branches libres enfermées dans un « caisson » transparent, Arrangement, branchage et grillages (1969).

Quelques documents exposés au début du parcours permettent de se plonger dans l’évolution de ce groupe. On y voit l’affiche de l’exposition historique « Impact » organisée en 1966 par Viallat au Musée de Céret et réunissant Pierre Buraglio, Daniel Buren, Michel Parmentier et François Rouan. Une autre affiche, l’année suivante, exécutée par Arman, et qui porte un titre sous forme d’interrogation : « École de Nice ? », montre la difficulté de tracer des limites précises aux activités de Supports/Surfaces, dans un paysage esthétique bouillonnant.

Face à un accrochage dense, où les œuvres sont disposées un peu partout, le spectateur est parfois débordé. Mais c’est probablement le prix à payer pour créer une atmosphère vivante et jouissive et présenter toute l’inventivité d’une création qui n’a pas pris un pli. À quand la reconnaissance par l’histoire de l’art, occupée par le minimalisme américain et ses normes ascétiques, de la véritable importance de Supports/Surfaces ?

Supports/Surfaces, les origines 1966-1970,
jusqu’au 31 décembre, Carré d’art-Musée d’art contemporain, place de la Maison-Carrée, 30000 Nîmes.
Légende photo

Daniel Dezeuze, Châssis avec feuille de plastique tendue - 1967 - 162 x 130 cm - Collection musée national d'Art moderne, Centre Georges Pompidou, Paris - Courtesy Ceysson & Bénétière © Photo : François Fernandez

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°490 du 1 décembre 2017, avec le titre suivant : Minimalisme jouissif

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