AMSTERDAM / PAYS-BAS
Figure capitale pour Van Gogh, le peintre de Barbizon a également inspiré nombre d’artistes de divers pays sur plusieurs générations. Le musée Van Gogh en fait la brillante démonstration.
Amsterdam. Depuis les années 1990, Jean-François Millet (1814-1875) fait l’objet d’une réévaluation. Son influence sur les artistes américains a été mise en lumière en 2017 par l’exposition que lui a consacrée le Musée des beaux-arts de Lille. De leur côté, Maite Van Dijk, conservatrice au musée Van-Gogh, et son co-commissaire Simon Kelly, conservateur au Saint Louis Art Museum, ont choisi pour Amsterdam un panel de peintres plus large s’arrêtant aux années 1920. De Vincent Van Gogh à Kasimir Malevitch, Pablo Picasso et Salvador Dalí, la comparaison se fait par thèmes autour d’une cinquantaine d’œuvres de Millet, dont certains proviennent de la collection Mesdag de La Haye (parallèlement, le musée Mesdag programme d’ailleurs une petite exposition sur Millet et l’École de La Haye). Le grand public peut y découvrir comment les artistes s’approprient le travail d’un prédécesseur pour trouver leur propre voie. Pour les Hollandais, c’est aussi la première occasion de voir L’Angélus (1857-1859) dans leur pays.
En premier lieu, l’accent est mis sur la modernité du peintre, décelable dans sa manière d’aborder les genres (la présentation réaliste de la vie rurale dans Les Tueurs de cochon [1867-1870]), dans ses recherches stylistiques (la remise en cause des conventions de représentation des scènes bibliques) et dans ses choix techniques (La Tondeuse de moutons [1860] exposé avec un personnage secondaire volontairement inachevé). Les idées reçues sur Millet ainsi ébranlées, le jeu des comparaisons avec les générations suivantes devient possible.
Une place importante est accordée aux travaux des champs, notamment autour de L’Homme à la houe (1860-1862) et Le Faucheur (1866-1867), et ceux qui s’en sont inspirés – comme John Singer Sargent et Ferdinand Hodler. Les Glaneuses (1857, voir ill.) occupe une place à part, la position des personnages pliés en deux ayant été largement utilisée par les peintres, tels Camille Pissarro, Léon Lhermitte, Paul Gauguin, Émile Seurat, Paul Sérusier et Émile Bernard. Le thème de la sieste des travailleurs agricoles a joui également d’une grande postérité, notamment auprès de Vincent Van Gogh (1853-1890).
Le Hollandais a cultivé une véritable passion pour Millet. Il a donné de multiples versions du Semeur, et il a aussi copié Soir d’hiver, La Fin de la journée, Hiver, la plaine de Chailly, La Tonte du mouton, Le Batteur, etc. Pour cette section consacrée à Van Gogh, le musée présente ses propres œuvres. Il a aussi fait venir du Musée d’Orsay La Sieste (1889-1890), peinte d’après la gravure Midi de la série Les Quatre Heures du jour (gravées sur bois de 1858 à 1860 par Adrien Jacques Lavieille d’après Millet), de Saint-Pétersbourg Matin, couple de paysans se rendant au travail (1890) et de Komaki, au Japon, Soir, la fin du jour (1889-1890).
Les commissaires se sont également intéressés à la technique, montrant à quel point le dessin de Millet était novateur. Sa maîtrise du crayon Conté et du pastel a inspiré Edgar Degas, Georges Seurat ou Giovanni Segantini. Collectionneur du peintre de Barbizon, Degas est représenté par Le Petit Déjeuner après le bain (1894), dont le personnage nu adopte l’attitude des glaneuses. Dans un essai du catalogue, Simon Kelly avoue avec honnêteté que l’on ignore si Puvis de Chavannes s’est référé pour son Orphée (1883) à Agar et Ismaël de Millet, commencé en 1848-1849 et resté inachevé à la mort du peintre.
Mais l’essentiel, au fond, est de montrer à quel point de nombreux artistes ont pu trouver un modèle chez cet aîné. Ce sont Winslow Homer, Max Liebermann, Jan Toorop, Dalí, Claude Monet (malgré ses affirmations), Odilon Redon – malheureusement absent de l’exposition mais dont des paysages, telChemin près de la mer, auraient pu y figurer – et d’autres, moins familiers : George Inness (1825-1894), Laurits Andersen Ring (1854-1933), Angelo Morbelli (1853-1919) et Paula Modersohn-Becker (1876-1907). Avec sagacité, les commissaires les ont réunis pour que Millet, célèbre dans le monde entier à sa mort, retrouve enfin la gloire.
Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°532 du 1 novembre 2019, avec le titre suivant : Millet le modèle, de Van Gogh à Dalí