Le Musée d’Orsay revient sur les premiers pas des photographes dans la Péninsule et explore les rapports que ces pionniers ont entretenus avec la peinture.
PARIS - La première confrontation ouvrant le parcours de « Voir l’Italie et mourir », au Musée d’Orsay, est un clin d’œil à une longue tradition entretenue par les élèves de l’Académie de France à Rome : Pompeo Molins, jeune photographe romain, immortalise la vasque de la Villa Médicis suivant le même cadrage que celui du tableau de Camille Corot, peint une trentaine d’années plus tôt. Plus qu’un simple passage de témoin entre anciens et modernes, les rapports entre la peinture et la nouvelle technique qu’est la photographie au XIXe siècle forment l’épine dorsale de l’exposition originale et ambitieuse imaginée par Guy Cogeval, directeur du Musée d’Orsay, et Ulrich Pohlmann, directeur de la collection photographique du Stadtmuseum à Munich. Tous deux ont lancé une étude minutieuse des solutions empruntées par la jeune photographie pour relever le défi du paysage, de l’art et de l’architecture mais aussi de la scène de genre, en choisissant comme terrain de jeu l’Italie, maîtresse dominatrice des artistes au XIXe siècle. Et de s’apercevoir que, malgré l’« impossibilité de mentir », ces artistes ont, à leur manière, perpétué le mythe italien.
Culture visuelle
Dès son invention en 1839, la photographie est le médium de tous les possibles. Capturer la réalité dans toute son objectivité est enfin à portée de main. Une nouvelle ère visuelle peut commencer. Les premiers photographes ne se sont cependant pas affranchis de toute influence. S’ils n’ont pas grandi en regardant des clichés pris sur le vif. Ces pionniers, peintres de formation pour certains, sont imprégnés d’une culture visuelle empruntant aussi bien à la peinture qu’au dessin et à la gravure. Passé le stade de l’usage documentaire perfectionné par John Ruskin et ses Pierres de Venise, ou encore Johan Henry Parker et The Archeology of Rome, les premiers pas de la photographie hésitent encore entre coutume et invention. Tandis que le paysage gagne ses lettres de noblesse en peinture, les photographes se doivent d’offrir autre chose que des compositions réarrangées, des couleurs idéalisées et des atmosphères rêvées. L’avènement du calotype (négatif sur papier) encourage un petit groupe se réunissant au Caffè Greco, à Rome, à innover en adoptant des points de vue plus sensibles et plus personnels, à l’image des paysages de poche d’un Cogniet ou d’un Granet (lire l’article ci-dessous). Au tournant du siècle, les pictorialistes porteront cette approche à son paroxysme, reproduisant les effets atmosphériques des tableaux symbolistes. Sur ces clichés noir et blanc ou sépia, la nature est souveraine et les rues de Rome sont vides… Emboîtant le pas aux artistes venus en pèlerinage étudier le Beau à sa source, les bourgeois de toute l’Europe embarqués dans le Grand Tour ne sont pourtant pas loin. Ils sont friands des vues touristiques génériques et des clichés d’œuvres d’art exposées dans les nombreux musées, que Carlo Naya, à Venise, et les frères Alinari, à Florence, réunissent dans des albums. Des clichés souvenirs dévoilant les (dés)avantages du dispositif photographique : les rayons de lune transforment l’un des géants de pierre de l’escalier du palais des Doges en chevalier en armure aux reflets métalliques, et les impératifs du temps de pose font naître des silhouettes spectrales le long des canaux de Venise.
Mais l’Italie du XIXe est aussi celle du Risorgimento. La Bénédiction de Pie IX au Quirinal, la nuit (1848) peinte par Ippoliti Caffi témoigne de la place omniprésente (et toujours d’actualité) tenue par le pape sur la scène politique, tandis que les clichés attestant des affrontements pour l’indépendance de 1848-1849 et de 1859-1861 rappellent avec froideur les affres d’une contrée longtemps morcelée. Signé Gustave Le Gray, le portrait de Garibaldi est d’une sobriété qui fait largement défaut aux scènes de genre stéréotypées sensées évoquer la vie dans le sud du pays. Dans ces scènes quotidiennes reconstituées, la faune napolitaine n’a pas grand-chose à envier aux paysans en tenue folklorique des grandes compositions destinées au Salon, telles que Les Pèlerins à Rome de Paul Delaroche. À la seule différence que les peintres exacerbent des émotions que les paysans rechignent à livrer devant l’objectif.
VOIR L’ITALIE ET MOURIR : PHOTOGRAPHIE ET PEINTURE DANS L’ITALIE DU XIXe SIÈCLE, jusqu’au 19 juillet, Musée d’Orsay, 1, rue de la Légion-d’Honneur, 75007 Paris, tél. : 01 40 49 48 14, www.musee-orsay.fr, tlj sauf lundi 9h30-18h, 9h30-21h45 le jeudi. Catalogue coédité par le musée et Flammarion, 384 p., 249 ill. couleurs, 40 euros, ISBN 978-2-0812-2425-4
VOIR L’ITALIE ET MOURIR
Commissaires : Dr. Ulrich Pohlmann, directeur de la collection photographique du Stadtmuseum, Munich ; Françoise Heilbrun, conservateur en chef au Musée d’Orsay ; Joëlle Bolloch, chargée d’études documentaires au Musée d’Orsay
Œuvres : Près de 250 photographies, huiles sur toiles, etc., réparties en 9 salles chronothématiques
Scénographie : Hubert Le Gall
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Mille et une images de l’Italie
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°302 du 2 mai 2009, avec le titre suivant : Mille et une images de l’Italie