Si Michel Sittow fut assurément « le plus grand artiste estonien de la Renaissance », il fut également l’un des plus grands portraitistes de son temps.
Attention, événement ! Si ce terme est trop souvent utilisé à mauvais escient, certaines manifestations méritent toutefois ce superlatif, à l’instar de celle orchestrée par la National Gallery of Art de Washington. Le musée américain organise en effet, en partenariat avec l’Art Museum of Estonia, la première monographie consacrée à Michel Sittow (1469-1525). Une ambitieuse exposition qui rassemble l’essentiel de la production authentifiée de cet immense peintre du XVIe siècle dont il subsiste, hélas, fort peu d’œuvres. « Sans aucun doute le plus grand artiste estonien de la Renaissance », proclament les commissaires. Compte tenu du très faible nombre de ses compatriotes s’étant illustrés dans ce domaine à cette période, on ne peut en effet qu’abonder dans leur sens.
Des voyages enrichissants
On peut même aller plus loin et affirmer que Sittow est assurément l’un des meilleurs portraitistes de son temps… toutes nationalités confondues. D’ailleurs, si Sittow a vu le jour à Reval, l’actuelle Tallinn, il a fait carrière au sein des plus brillantes cours de son siècle. Il est traditionnellement classé parmi les primitifs flamands puisqu’il a étudié à Bruges. Les spécialistes supposent même qu’il a été formé par Hans Memling. Une hypothèse que semblent accréditer ses premiers portraits comme le Jeune Homme à la coiffe rouge, conservé au Detroit Institute of Art, mais aussi ses Madones qui ont un air de famille avec celles de son maître putatif.
Portraitiste très couru, il entre au service d’Isabelle la Catholique en 1492, quand la cour d’Espagne est à son apogée. Sous l’identité de Melchior Alemán, il exerce ses talents jusqu’à la disparition de la souveraine en 1504. Commence ensuite un véritable périple à travers l’Occident, une carrière itinérante durant laquelle il immortalise quelques-unes des plus belles têtes couronnées de l’époque : le roi Christian II de Danemark, Mary Rose Tudor ou encore une délicate Catherine d’Aragon sous les traits de Marie-Madeleine.
Malgré des styles variés, ces différents tableaux ont comme point commun de parvenir au subtil équilibre entre l’exaltation du pouvoir qui sied à cet exercice et les valeurs humanistes, qui ont alors le vent en poupe. Plastiquement, les œuvres colorées et lumineuses de Sittow sont le fruit de ses nombreux voyages. Cet art métissé, cosmopolite, porte les ferments de la peinture flamande, évidemment, mais aussi des références méridionales, notamment italiennes. À l’image du portrait de Diego de Guevara qu’il réalise très probablement lors de son séjour en Bourgogne. Ce superbe tableau incarne la quintessence du portrait selon Sittow, entre vérisme et douceur. Sans verser dans l’idéalisation, ce portrait fait ainsi preuve d’empathie avec son modèle. Une belle chevelure rousse mousseuse et délicatement ondulée encadre un visage grave et marqué. Tandis que les matières et la richesse des tissus, notamment son col en fourrure vibrant, sont rendues avec un luxe de détails trahissant le statut de ce puissant noble de la cour des Habsbourg.
« Michel Sittow : Estonian Painter at the Courts of Renaissance Europe »,
National Gallery of Art, 3rd & 9th Streets Constitution Avenue NW, Washington (États-Unis), www.nga.gov, jusqu’au 13 mai 2018 ; puis du 8 juin au 16 septembre 2018 au Kumu Art Museum, Tallinn (Estonie).
Cet article a été publié dans L'ŒIL n°709 du 1 février 2018, avec le titre suivant : Michel Sittow