Entre 1501 et 1504, Michel-Ange sculpte à Florence le David, une statue colossale en marbre du héros biblique, emblème de la victoire de l’intelligence et de la beauté sur la bestialité et la force brute, qui devient le symbole de la liberté républicaine. Cinq cents ans plus tard, la cité toscane célèbre Il Divino avec trois expositions qui mettent en relief son importance dans la culture de son temps et des siècles suivants plus qu’elles ne retracent l’œuvre de ce génie incontesté.
FLORENCE (de notre correspondante) - Tout près du David, dans la tribune de la Galerie de l’Académie, “Vénus et amour. Michel-Ange et la nouvelle beauté idéale” montre comment le thème du nu féminin et de l’amour s’insère dans l’œuvre de Michel-Ange et apporte une orientation nouvelle dans le fervent débat entre artistes et lettrés de Florence à l’époque. La contribution de Casa Buonarroti, sous le titre “Le mythe de Ganymède avant et après Michel-Ange”, envisage, autour de quelques dessins célèbres de l’artiste, le destin de ce mythe auprès des artistes, de l’art classique au XVIIe et XVIIIe siècles, en passant par le Moyen Âge.
Mais l’exposition la plus importante se tient au palais Strozzi, où “L’ombre du génie. Michel-Ange et l’art à Florence de 1537 à 1631” souligne le rôle fondamental que l’artiste a joué dans la Florence des Médicis, surtout après son installation définitive à Rome en 1534, à l’invitation du pape Clément VII (Jules de Médicis). Une influence tellement forte et indéniable que l’“ombre du génie” s’étend jusqu’au siècle suivant, se reflétant non seulement dans la peinture et la sculpture, mais aussi dans les arts décoratifs, d’où ressort toujours cette “fureur dans la ligne”. Incarnée dans une forme sinueuse, elle possède la “tortuosité d’un serpent vivant quand il avance”, comme le rappelle Lomazzo dans son Traité de la peinture de 1584.
L’exposition propose une lecture de l’art toscan, sous l’angle de la “règle” dictée par Michel-Ange, à partir des années de la “manière moderne” (selon les termes de Vasari), puis du Maniérisme de la fin du XVIe siècle jusqu’au XVIIe siècle. La politique de Cosme Ier de Médicis, qui prend le pouvoir en 1537, marque un tournant. Il donne un nouveau visage à l’urbanisme, à l’architecture et aux arts figuratifs en alimentant le mythe de Michel-Ange et en exploitant le personnage comme une référence emblématique d’une gloire florentine. Un paradoxe pour cet artiste qui avait toujours professé sa foi républicaine, en s’engageant activement dans la résistance de 1530, année où la famille Médicis reprend le pouvoir. Cosme Ier mène à leur terme les projets inachevés de Michel-Ange, comme les statues de la Nouvelle Sacristie, l’escalier de la bibliothèque Laurentienne, mais il fait également rapatrier à Florence les Prisonniers, œuvres restées à Rome dans l’atelier de l’artiste. Il s’approprie le David Apollon de 1530-1532, que le maître avait sculpté pour Baccio Valori, l’un des chefs de la révolte. Le mythe “construit” par Cosme Ier culmine dans les monuments funéraires de 1564 et dans le monument de Santa Croce (les modèles pour les statues du tombeau, œuvres de Battista Lorenzi et Giovanni Bandini, sont exposés), mais ne se ternit pas pour autant au cours des siècles suivants, même s’il s’exprime sous des formes diverses. L’exposition, qui rassemble environ cent cinquante œuvres entre peintures, sculptures, dessins, tapisseries, porcelaines, pierres dures, objets d’ameublement, armures et reliquaires, s’articule en neuf sections. Elle commence naturellement par Michel-Ange, mythe vivant (avec des dessins du maître et des sculptures comme le David Apollon ou un Torse d’homme) et par les œuvres de son disciple le plus proche, illustrée par la Divinité fluviale de Pierino da Vinci du Louvre. Le modèle pour la tête de la Méduse dans le Persée de Cellini (Victoria & Albert Museum de Londres, V&A) et la Vénus d’Ammannati du Prado permettent de mesurer son ascendant sur le Cinquecento, tout comme les peintures de Pontormo, Vasari, Naldini ou Allori. L’ombre du génie nous mène ensuite à travers les époques de François Ier, Ferdinand Ier et Cosme II – jusqu’au soi-disant “automne de la Renaissance”, lorsque des traits michélangélesques apparaissent dans les gravures de Jacques Callot, dans l’écrin décoré avec toute la symbolique des Médicis de Gaspare Mola datant de 1609-1621 (V&A), ou encore dans l’armure de Cosme II datant de 1605 environ, reconstituée en réunissant pour la première fois la partie conservée à Detroit et celle du musée florentin du Bargello. Un parcours qui aboutira à “consolider”
le mythe de Michel-Ange dans les fresques de la Casa Buonarroti voulu par l’arrière-petit-fils de Michel-Ange le Jeune et confiées à de grands artistes toscans de l’époque. L’articulation chronologique de l’exposition garde toutefois une subdivision thématique avec la présence de sections distinctes, comme celle destinée aux œuvres commandées directement par la famille Médicis (d’où émergent par exemple les tapisseries de Bronzino et Nicola Karcher, le Buste du grand-duc François Ier de Jean de Boulogne et Pietro Tacca ou le Portrait de Maria Salviati de Pontormo). Un espace particulier est consacré au petit cabinet de travail de François Ier ; on y trouve, en plus de quelques petits bronzes, le précieux broc en porcelaine provenant de Washington daté de 1575-1587. Dans une autre section sont réunis des portraits de lettrés, d’hommes de sciences, de musiciens faisant partie de l’entourage du grand-duc. Parmi eux, le Portrait de Monsignor della Casa de Pontormo (Washington). La création du “jardin à l’italienne” peut également être assimilé à l’héritage michelangélesque. La nature et l’art s’y rencontrent et la sculpture y joue un rôle privilégié, comme en témoignent les dessins et les sculptures pour fontaines de Pierino da Vinci, Giovan Battista Caccini et Tribolo ou encore les œuvres éphémères conçues pour des cérémonies, des fêtes et des spectacles de théâtre.
Une attention particulière est accordée aux “arts apparentés”, à savoir toutes les créations d’objets (vases, armoiries, décorations, médaillons, échiquier etc.), conçus à partir des dessins de maîtres comme Jacopo Ligozzi ou Bernardo Buontalenti, et fabriqués par les ateliers des Médicis, dont l’Opificio delle Pietre Dure fondé par Ferdinand Ier de Médicis. Le tournant crucial au début du XVIIe siècle est également relaté, lorsque dans le climat de la Contre-Réforme, de nombreux artistes toscans abandonnent préciosité et extravagance. Outre les œuvres de Cigoli et de Passignano, la gloire des Médicis est à l’époque célébrée dans les fresques du palais Pitti et de la villa de Petraia, à Volterrano, avant que l’arrivée du Baroque, par le biais de Pierre de Cortone, n’ouvre une nouvelle ère.
- Vénus et amour. Michel-Ange et la nouvelle beauté idéale, du 26 juin au 3 novembre, tribune de la Galerie de l’Académie, Via Ricasoli 60, Florence, tél. 39 55 26 54 321, tlj sauf lundi 8h30-19h. - L’ombre du génie. Michel-Ange et l’art à Florence de 1537 à 1631, du 16 juin au 29 septembre, palais Strozzi, Florence, piazza Strozzi, tél. 39 55 246 96 00. - Le mythe de GanymÈde avant et aprÈs Michel-Ange, du 18 juin au 30 septembre, Casa Buonarroti, via Ghibellina 70, Florence, tél. 39 55 241 752, tlj sauf mardi 9h30-16h.
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Michel-Ange, l’ombre du génie
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°150 du 31 mai 2002, avec le titre suivant : Michel-Ange, l’ombre du génie