Bercé des glorieux exemples de la Renaissance italienne, Xavier Mellery (1845-1921) n’a jamais pu réaliser ses rêves de grande peinture murale. Paradoxalement, la reconnaissance lui est venue grâce à son œuvre dessiné : ces bouts d’intimité, ces scènes de béguinage, baignés dans une atmosphère sourde, saturée de gris, suggérant au cœur du réel une présence invisible. Avant le Musée d’Ixelles, le Musée Van Gogh, à Amsterdam, rend hommage à ce mystique du quotidien.
AMSTERDAM - “Ce sont des coins, la plupart pris chez moi ; ils sont intimes et profonds et recèlent, je crois, la vie, l’âme des choses inanimées.” Ainsi Xavier Mellery décrivait-il la série d’œuvres présentées en 1895 sous le titre “Émotions d’art : l’âme des choses”. De ces dessins mêlant, dans un dense camaïeu de gris, craie, lavis et crayon, naît une atmosphère sombre et oppressante, habitée par une présence invisible. La porte ouverte sur une pièce éclairée par une source lumineuse masquée constitue une belle métaphore de ce mystère logé au cœur du réel. Au-delà de la technique, étonnante, ces œuvres se présentent comme une interprétation symboliste d’un genre emblématique de la peinture nordique, la scène d’intérieur vouée au silence et à la solitude. À un artiste sensible à de telles qualités, les cloîtres et autres béguinages, peuplés de nonnes au travail ou en prière, devaient offrir un sujet de prédilection. Née en marge de la peinture religieuse, la scène de genre se trouve ainsi respiritualisée.
Un “décorateur raté”
Mais, malgré la beauté de cet œuvre intime, l’essentiel, pour Xavier Mellery, était ailleurs, dans la grande peinture murale – n’oublions pas qu’il fut Prix de Rome en 1870. Improbables compromis de réalisme et d’idéalisme, ses tableaux allégoriques, préparatoires à des décors d’édifices publics, tranchent avec le caractère énigmatique des dessins. À l’art délicat de la suggestion, du mystère, fait place une éloquence pesante, quoique modérée par un indéniable parfum d’étrangeté. Alors qu’il s’aventure dans ses dessins sur les terres encore en friche du Symbolisme, ce recours au vocabulaire balisé et exténué de l’allégorie s’apparente à une régression. Même si, de façon inattendue, l’homme – ou la femme – du peuple, le travailleur, s’invite dans les sphères éthérées de l’Idéal. Il était déjà au cœur de la série, ouvrant l’exposition, consacrée à l’île de Marken, vivante image pour Mellery du paradis perdu, “tout comme la Bretagne symbolisa les terres vierges pour Gauguin”. La mise en scène du Paysan romain avec ses taureaux sur un fond d’or, emprunté à l’art de l’icône, s’apparente un peu au mélange de l’huile et du vinaigre : ils ne sont pas miscibles. D’autre part, Mellery se plaît à introduire le texte, la lettre, dans le champ de la représentation, sous la forme d’un titre ou d’une devise. Cette pratique sonne à la fois comme une coupure irrémédiable avec le monde de la Renaissance, dans lequel est née l’allégorie, et comme un singulier manque de confiance dans ses moyens picturaux.
- XAVIER MELLERY : L’ÂME DES CHOSES, PEINTURES ET DESSINS, jusqu’au 2 juillet, Musée Van Gogh, 7 Paulus Potterstraat, Amsterdam, tél. 31 20 570 52 00, tlj 10h-18h. Catalogue, en français, 152 p., 115 ill., 39,5 florins. L’exposition sera ensuite présentée au Musée d’Ixelles, à Bruxelles, du 27 juillet au 2 octobre.
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Mellery, l’œuvre au gris
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°107 du 9 juin 2000, avec le titre suivant : Mellery, l’œuvre au gris