La maison Victor Hugo célèbre le bicentenaire de la maîtresse de l’écrivain, Juliette Drouet. Retour sur l’itinéraire d’une enfant peu gâtée devenue une femme des plus courtisées.
Édifiante, l’histoire de Juliette Drouet (1806-1883). Édifiante car édifiée par un auteur à la réputation ineffable. Édifiante puisque son histoire ne cessa de tendre vers l’Histoire jusqu’à parfois se confondre avec elle. Courtisane, courtisée, désireuse, désirée, jalouse, jalousée, amante, aimée, la muse de Victor Hugo (1802-1885) fut active par passion et passive jusqu’à l’excès. Violente ou recluse, joyeuse ou malheureuse, elle traversa le siècle en une bipolarité effrénée digne des plus grandes pages du romantisme.
Actrice lumineuse sur les planches, elle fut pour de nombreux hommes un obscur objet du désir. Et lorsqu’elle déclare « Je ne veux qu’une chose, être aimée », l’on ne peut réprimer une interversion des mots : « Je ne veux être qu’une chose, aimée… »
L’enfance difficile d’une actrice aimée
Trouble et troublée. L’identité de Juliette Drouet tient dans ces deux adjectifs. Née Julienne Gauvain en 1806 à Fougères, elle perd successivement à un an et demi ses deux parents. Son oncle René-Henry Drouet la recueille, mais, à l’exception de son nom, n’a guère autre chose à lui offrir.
Installée à Paris, elle est alors confiée aux dames de Sainte-Madeleine. Tremblantes, les premières lignes de sa vie seront pourtant gravées pour la postérité : Victor Hugo s’inspirera du patronyme de son aimée, l’essaimant discrètement dans ses romans, ainsi que de cette vie digne des Misérables, à laquelle il empruntera pour les personnages de Cosette ou Fantine.
C’est encore Juliette qui donne naissance en 1826 à une petite Claire. Le père n’est autre que le sculpteur James Pradier (1790-1852), Prix de Rome en 1813, qui traduit dans le marbre, comme si tous les matériaux étaient destinés à porter son empreinte, les formes lascives de la jeune femme. Un an plus tard, de nouveaux bras l’accueillent : ceux d’un médecin qu’elle abandonne rapidement pour le théâtre.
Afin de se faire un nom, elle commence par se faire un prénom. « Mlle Juliette » devient désormais l’actrice à voir. Vue, elle est contemplée. Et aimée. Par l’ambassadeur de Toscane qui l’emmène en Italie, par le critique littéraire Karr qui flatte la comédienne. La comédie devient vite épopée quand Juliette Drouet, en 1833, joue dans Lucrèce Borgia de Hugo.
Aux lettres d’amour succèdent les déchirures, et vice-versa
Quoique marié à Adèle, que les amours ont un temps portées vers Sainte-Beuve, Victor Hugo s’enivre pour cette femme au parfum de scandale. « Je t’aime : c’est par là seulement que je veux aller à la postérité » : l’ambition de Juliette Drouet se confronte rapidement à celle de Victor Hugo, célèbre et célébré. Juliette consigne les faits et gestes de l’écrivain, recopie ses œuvres, conserve ses dessins quand les crises de jalousie n’interrompent cette relation tumultueuse.
Bientôt académicien et député, l’écrivain filtre, surveille, censure sa maîtresse qui prend toutefois part à toutes ses aventures. Des aventures tragiques quand il perd sa fille Léopoldine en 1843, politiques quand l’exil fait suite à ses positions républicaines, amoureuses quand Léonie Biard d’Aunet envoie à cette « proscrite du dévouement » les lettres enflammées qu’elle a échangées avec Hugo.
Si les adieux se succèdent, rien n’efface vingt mille lettres d’amour. Les amants se déchirent pour mieux se retrouver. Puis se déchirer. Sans cesse. L’exil de Guernesey ménage la relation, mais le retour à Paris en 1870 est le lieu d’une nouvelle rupture. Si Juliette, malade, soigne ses maux grâce à la bienveillance de Blanche, sa lingère, le vieil Hugo ne soigne pas son « mal incurable » érotique, cédant à cette jeune servante de vingt-trois ans.
Mais après le fiel des gestes suit le miel de la plume. Celle de Juliette qui condamne autant qu’elle pardonne. Celle de Victor qui apaise et éblouit son amante, aussi éreintée que passionnée, à laquelle il adressera ces mots en guise d’épitaphe : « Entrer dans l’éternité avec toi, c’est là mon espoir. »
1806 Juliette Drouet, de son vrai nom Julienne Gauvain, naît à Fougères (35).
1825 Elle fait la rencontre du sculpteur James Pradier et devient sa maîtresse.
1829 À Bruxelles, elle débute une carrière de comédienne.
1833 Sa rencontre avec Victor Hugo est décisive. Elle abandonne le théâtre pour vouer sa vie à son amant.
1852 Elle accompagne Victor Hugo dans son exil à Jersey puis à Guernesey. Exil qui dure près de 20 ans.
1883 Juliette Drouet s’éteint à Paris
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Melle Drouet - La passion selon Hugo et Juliette
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans L'ŒIL n°588 du 1 février 2007, avec le titre suivant : Melle Drouet