PARIS
En dépit des difficultés qui auront obligé le Centre Pompidou à reporter et à modifier son exposition « Matisse. Comme un roman », celle-ci ne manque ni de charme ni d’intérêt.
En 1941, Aragon rencontre Matisse en zone libre, à Nice. Le premier a 44 ans, le second 72. Le nom d’Henri Matisse apparaît bien ici ou là au détour d’articles, mais aucun texte ne lui est entièrement consacré. Étonnant, si l’on songe qu’étudiant en médecine au Val-de-Grâce avec Breton, Aragon décorait les murs de sa chambre de reproductions de l’artiste… Cette rencontre donne naissance au projet d’écrire un portrait du maître, auquel ce dernier collaborera. Mais Matisse meurt en 1954. Le livre, lui, paraît en 1971, soit près de trente ans pour accoucher d’un ovni éditorial en deux tomes, que l’écrivain intitule Henri Matisse, roman et dont il supervise tout, jusqu’à la photogravure. Il ne s’agit ni d’une biographie ni d’une monographie, ni même d’un roman d’ailleurs, mais d’un collage de textes publiés entre 1941 et 1970, remaniés, incisés, commentés, où il est autant question de Matisse que de Michel-Ange et d’Aragon lui-même. « Chaque moyen d’expression a ses limites, ses vertus, ses manques », dit Aragon en 1945 à propos de ce livre. « Rien n’est plus arbitraire que d’essayer de substituer la parole écrite au dessin, à la peinture. Cela s’appelle la critique d’art, et je n’ai pas conscience d’en être coupable ici. »
Henri Matisse, roman est donc le fruit d’une double impossibilité : celle d’écrire sur l’art, d’abord, de substituer des mots à la peinture ; celle d’écrire sur Matisse, ensuite, monstre sacré dont l’œuvre embrasse, en 1941, déjà près d’un demi-siècle de création.
Cet ouvrage est à l’origine de l’exposition du Centre Pompidou, qui devait initialement ouvrir le 13 mai 2020 pour explorer les liens entre l’image et le texte chez l’artiste. Elle a finalement ouvert le 21 octobre dernier, amputée d’une partie de ses prêts internationaux et, par conséquent, de son propos. De la difficulté d’exposer Matisse en période de pandémie… C’est ainsi que « Matisse. Comme un roman » se présente essentiellement comme un rassemblement des œuvres conservées dans les collections nationales, riches il est vrai de plus de 250 numéros pour le seul Musée national d’art moderne, de deux importants musées monographiques (au Cateau-Cambrésis et à Nice) et de chefs-d’œuvre disséminés partout en France, du Musée de Grenoble (Intérieur aux aubergines, 1911) au Musée Picasso-Paris (Marguerite, 1907). C’est ainsi, également, que l’exposition, globalement chronologique, présentant plus de 230 œuvres et 70 documents et archives, parvient à dresser un passionnant panorama de l’œuvre de Matisse, de 1895 à 1954.
Si toute rétrospective de Matisse est par nature impossible, nombre d’œuvres décisives, ou « laboratoires », étant dispersées partout dans le monde, notamment dans les musées russes et américains, l’événement ne manque ni de charme ni d’intérêt. De charme, d’abord, comme celui de présenter des œuvres peu connues et pourtant admirables, à l’instar du Pont Saint-Michel (vers 1900), où toutes les préoccupations de Matisse sont déjà en place : la couleur, le dessin, la fenêtre comme la tentation de l’abstraction. D’intérêt, ensuite, car, outre montrer l’étendue des pratiques de l’artiste (peinture, dessin, papiers découpés, sculpture), le parcours revient sur l’articulation des différentes périodes et la cohérence de l’œuvre de l’artiste, du fauvisme à la chapelle dominicaine du Rosaire de Vence, en passant par Jazz. Au sortir du parcours, le visiteur a déjà perdu de vue Aragon, mais il regardé Matisse. C’est déjà pas mal…
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Matisse, comme un roman national
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans L'ŒIL n°741 du 1 février 2021, avec le titre suivant : Matisse, comme un roman national