Le temps d’une exposition, Mantoue réunit une partie de la légendaire collection des ducs de Gonzague, qui possédaient des tableaux des plus grands maîtres, de Mantegna à Rubens, et quantité de somptueux objets d’art. Autant de chefs-d’œuvre mis au service d’un ambitieux dessein politique.
MANTOUE - L’exposition “La galerie céleste des Gonzague” réunit 90 tableaux des plus grands artistes européens du XVe au XVIIe siècle et près de 200 bijoux, cristaux, armes, petites sculptures en bronze et manuscrits. Elle aura nécessité cinq années de travail, de séminaires, de congrès, et la collaboration de soixante savants italiens et européens, tous historiens de l’art ou archivistes, sous la direction et la coordination de Raffaella Morselli (qui a été l’âme de l’exposition) et d’Andrea Emiliani. Sept chercheurs ont classé dix mille lettres du XVIe et du XVIIe siècles envoyées de Mantoue ou adressées aux résidents de cette ville. Enfin, ont été sollicités 84 prêteurs parmi les plus grands musées italiens et internationaux, et une collection privée australienne qui, par un hasard incroyable, possède le Portrait de Ferdinand de Gonzague jeune par Rubens. Tous ces travaux préparatoires justifient le retard avec lequel ouvre au Palazzo Te et au Palazzo Ducale de Mantoue l’exposition très attendue sur l’activité de collectionneur de ses anciens seigneurs, les Gonzague.
Née d’un vaste projet de recherche, dirigé par Raffaela Morselli, sur l’activité de collectionneur des Gonzague entre le XVIe et le XVIIe siècle, et qui sera publié en douze volumes (trois sont déjà parus), “La galerie céleste des Gonzague” est le fruit d’une fascinante enquête. Pour avoir une idée de la difficulté de l’entreprise, il suffit de suivre l’enchevêtrement des événements qui ont permis la formation et la brutale dispersion de ce qui est à juste titre considéré comme un des premiers musées du monde. Si cette collection a été la plus prestigieuse de son temps, elle en a aussi été la plus convoitée et la plus menacée. Il s’agissait non seulement d’une véritable entreprise artistique mais aussi d’une opération diplomatique. En effet, au-delà de mariages judicieux, l’excellence de la collection a valu aux Gonzague, seigneurs en marge de par leur pouvoir politique et leur situation géographique, une position au premier plan des puissances européennes. De nombreux membres de cette illustre famille ont contribué à la constitution de ce patrimoine, depuis la belle et très cultivée Isabelle d’Este, épouse Gonzague, dont Léonard a peint le portrait en 1499, jusqu’à ses descendants, et notamment les trois Gonzague qui ont régnié entre 1563 et 1630, qui l’ont enrichie. Au fil du temps, la collection est devenue colossale, rassemblant 2 000 tableaux des plus grands maîtres ainsi que 20 000 objets précieux, disposés savamment dans les salles de ce Palazzo Ducale – qui apparut à Montesquieu comme une ville dans la ville. Initiée par le malheureux Guillaume de Gonzague, laid, bossu et disgracieux, mais à qui l’on reconnaît aujourd’hui une personnalité de collectionneur de premier ordre, l’ensemble fut énormément enrichie par son fils, Vincent Ier (un Habsbourg par sa mère), qui était lui beau, exubérant, sanguin et tellement passionné par le luxe et la beauté qu’il demanda qu’on amasse ses objets les plus précieux sur son lit de mort. Après lui, son fils Ferdinand (un Médicis par sa mère), homme triste et génial, doté d’un esprit systématique et méthodique, a non seulement voulu développer cette collection déjà vieille d’un siècle mais aussi la mettre en ordre. Pour conjurer l’extinction de la famille qu’il savait proche (elle manquait d’héritiers mâles alors que la guerre saignait à blanc le duché), Ferdinand en a fait dresser l’inventaire en 1626-1627. Établissant une véritable carte du trésor, ce dernier a permis de remonter un à un les fils emmêlés qui menaient à ces œuvres aujourd’hui dispersées dans le monde entier. Celles-ci avaient été commandées directement aux artistes ou le plus souvent acquises par des agents du duc. On retrouve ainsi dans cet ensemble des artistes comme Mantegna (David avec la tête de Goliath), Quentin Metsys (Portrait d’Erasme), Dürer, Lorenzo Lotto, Dosso Dossi, Corrège (L’Éducation d’Amour), Titien (Portrait d’une jeune femme à sa toilette), Giulio Romano (La Naissance de Bacchus), Tintoret, Véronèse, Sofonisba Anguissola, Brueghel le Jeune, Guido Reni, Dominiquin (la Sainte Agnès identifiée par l’une des conservatrices d’Hampton Court), Domenico Fetti, Guerchin (Herminie parmi les bergers), ainsi que Francis Pourbus, auteur du Portrait de Vincent Ier. Figure également Pierre Paul Rubens, peintre de la cour de Vincent de Gonzague, dont l’Assemblée des Dieux provenant des Galeries du château de Prague appartiendrait à un cycle sur Enée, tout comme une toile venant de Fontainebleau.
La vente en 1628 d’une partie des collections à Charles Ier d’Angleterre et le sac de Mantoue par les Lansquenets en 1630 ont provoqué la diaspora des tableaux et des objets les plus précieux. Après l’exécution du souverain britannique en 1649, de nombreuses œuvres ont de nouveau été vendues. L’exposition réunit ces trésors pour la première fois.
Le parcours du Palazzo Te regroupe les œuvres selon l’ordre et les lieux cités dans l’inventaire de 1627 ; certains de ces lieux étaient déjà des espaces d’expositions, d’autres étaient restés tout à fait privés. Le Palazzo Ducale présente quant à lui les projets architecturaux et décoratifs de ce qui a été pendant quatre siècles le palais des Gonzague, que chaque membre a voulu améliorer, enrichir, et rendre plus précieux, afin de s’asseoir d’égal à égal à la table des grands d’Europe.
- LA GALERIE CÉLESTE DES GONZAGUE, jusqu’au 8 décembre, Palazzo Te et Palazzo Ducale, Mantoue, mardi-dimanche 9h-18h, lundi 13h-18h. Catalogue, 2 vol., éd. Skira.
L’accès à la totalité de l’article est réservé à nos abonné(e)s
Mantoue retrouve les fastes des ducs de Gonzague
Déjà abonné(e) ?
Se connecterPas encore abonné(e) ?
Avec notre offre sans engagement,
• Accédez à tous les contenus du site
• Soutenez une rédaction indépendante
• Recevez la newsletter quotidienne
Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°154 du 13 septembre 2002, avec le titre suivant : Mantoue retrouve les fastes des ducs de Gonzague