Les trois versions de L’exécution de Maximilien d’Édouard Manet sont exposées pour la première fois aux États-Unis. Trois images à la fois distantes et engagées.
Fils de Louis Bonaparte, Napoléon III veut conquérir le monde. En 1864, il envoie au Mexique Maximilien, membre de la famille impériale d’Autriche, afin d’y asseoir le pouvoir français. Mais, se heurtant à l’opposition des libéraux et républicains mexicains, Maximilien ne parviendra jamais réellement à s’imposer. Trois années plus tard, persuadé de son erreur, Napoléon III ordonna le retrait des troupes françaises au Mexique, abandonnant Maximilien aux mains des rebelles qui l’exécutèrent le 19 juin 1867 à Querétaro, au nord de Mexico, avec ses deux généraux, Miguel Miramon (à sa gauche) et Tomas Mejia.
Une opposition franche à la politique de Napoléon III
Choqué par la nouvelle de l’exécution et opposé à la politique de Napoléon III, Édouard Manet (1832-1883) se met aussitôt au travail pour réaliser un tableau relatant l’épisode. Entre 1867 et 1869, il réalise une ébauche, une lithographie et trois grandes toiles sur le sujet, qui évoluent en fonction de son point de vue de plus en plus radical sur la politique française. Si, dans la première version de 1867, largement inspirée du Tres de Mayo de 1814 de Goya (1746-1828), les militaires portent des vêtements et sombreros mexicains, dans le dernier tableau de 1869, les militaires revêtent les uniformes de l’armée française. L’un d’eux, à l’écart, ressemble volontairement à Napoléon III. Manet y accuse ouvertement l’empereur d’être responsable de la mort de Maximilien, ce qui explique que ce tableau n’a jamais pu être exposé publiquement du vivant de l’artiste.
Manet renouvelle le genre de la peinture historique
S’il reste dans ce tableau de 1869, certainement le plus abouti des trois, des preuves évidentes de l’influence de Francisco de Goya, Manet a su en faire une œuvre plus moderne et virulente. La scène tire son intensité dramatique de la distanciation rendue par le modelé plat de la peinture et de la froideur qu’expriment les personnages. Le soldat de droite ne semble qu’à peine préoccupé par la fusillade et les autres soldats ressemblent à des automates chancelants. Les victimes, quant à elles, regardent froidement leurs bourreaux, à peine perturbées par Mejia, qui succombe aux balles. Seul le peuple mexicain, qui semble assister à une corrida, exprime l’horreur de la scène. Manet crie magnifiquement son indignation face à la cruauté de cette exécution. Renouvelant le genre de la peinture historique, caractérisé à l’époque par des scènes de batailles, il ouvre une nouvelle ère, celle qui, soixante-dix ans plus tard, verra naître avec Guernica de Picasso la peinture historique de
dénonciation.
Les soldats / Le képi français remplace le sombrero mexicain
Placés au centre du tableau, les soldats sont mis en relief par des contours parfaitement définis et des couleurs tranchées, contrastant avec les personnages du second plan, et davantage encore avec le cimetière à peine visible du fond du tableau. Dans la première version qui date de 1867, les soldats étaient représentés par des Mexicains portant des sombreros. Au fur et à mesure que les informations parvenaient en France, via des photographies et des récits, Manet changea son point de vue. Dans ce dernier tableau, le peintre leur donne l’apparence de soldats français, afin de dénoncer le rôle criminel de la France dans cette exécution. Tout contribue à leur donner un aspect froid, implacable et inhumain : têtes penchées du même côté, tenant leur fusil très proche des victimes, basculant très maladroitement sur leurs pieds, les soldats ressemblent plus à des pantins qu’à des hommes.
Les spectateurs / L’émotion du peuple
Placé au second plan, le peuple mexicain qui assiste à l’exécution est un élément essentiel du tableau. Face à cette scène tragique, et contrairement aux personnages principaux qui semblent dénués d’émotion, le peuple exprime toute l’horreur, l’angoisse et la pitié qu’inspire un tel acte. Pour accentuer encore la cruauté et l’animalité de la scène, Manet fait référence à l’un de ses tableaux (Corrida, 1865-1866), inspiré lui-même par un tableau de Goya, où le public du second plan est penché au-dessus d’une arène dans laquelle un taureau est mis à mort. La référence à la corrida, au deuil et à l’Espagne est suggérée aussi par la présence de la jeune femme derrière le groupe de Mexicains qui cache son visage avec un éventail noir.
Les victimes unis face à la mort
L’empereur est entouré de ses deux fidèles, le commandant de l’infanterie Miguel Miramon à droite et le général Tomas Mejia dont la peau est plus brune. Au centre, Maximilien, visage blafard, porte un sombrero qui forme une auréole. Il ressemble au Christ qui, comme dans le tableau de Manet Le Christ mort et les anges (1864), est entouré par deux anges. Si le visage de Maximilien et de Miramon est impassible, l’émotion se concentre dans leurs mains qui se rejoignent, symbole de leur amitié, ainsi que dans le visage déformé et le corps crispé de Mejia, au premier plan. La complicité des victimes se traduit aussi dans la composition en triangle qui les unit, soulignée par les jambes écartées des deux généraux et par l’ombre au sol qui forme une ligne. En retrait, Miramon ressemble étrangement au peintre dans les Ménines de Vélasquez. On pourrait y voir un symbole de Manet qui adresse un regard froid au public français, spectateur passif de cette tragédie.
Le soldat à l’écart /Le coup de grâce
Personnage déroutant dans la scène, ce soldat dénote par sa nonchalance et son calme, au moment même où le général Mejia est touché par une balle. À l’écart des autres soldats, portant un képi de couleur rouge et dévoilant son visage, il paraît plus préoccupé par sa gâchette que par la scène sur laquelle convergent tous les regards. Sa main, délibérément disproportionnée, suggère la monstruosité du personnage. Les articles de presse de l’époque rapportent qu’un soldat se tenant à l’écart était chargé de donner le coup de grâce. C’est lui qui, après plusieurs balles maladroites, finit par achever Maximilien à bout portant.
Informations pratiques « Manet et l’exécution de Maximilien » jusqu’au 29 janvier 2007. 11 West 53rd Street, New York, NY 10019, USA. Ouvert tous les jours de 10 h 30 à 17 h 30 et le vendredi jusqu’à 20 h, fermé le mardi. Tarifs : 12 et 15 € environ. www.moma.org
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Manet engagé politique
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans L'ŒIL n°587 du 1 janvier 2007, avec le titre suivant : Manet engagé politique