Entre 1911 et 1939, Robert Mallet-Stevens privilégie une approche d’ensemble de la décoration d’intérieur, donnant une traduction très personnelle des tendances avant-gardistes de son temps.
Trop décoratif Mallet-Stevens ? C’est en tout cas le motif qu’avance Siegfried Giedion pour refuser sa candidature à la place de délégué français du Congrès international d’architecture moderne (Ciam) de 1929 en remplacement du Corbusier. Une accusation d’autant plus lourde qu’elle émane d’un des plus grands promoteurs de ce qui deviendra le style international. 1929 est en outre une année charnière dans le paysage des arts décoratifs français. Le débat entre les tenants d’une tradition fondée sur une production élitiste et décorative, et ceux revendiquant un art fonctionnel tenant compte des nouveaux impératifs de la vie moderne, s’est cristallisé au Salon des artistes décorateurs de 1929. Devant les contraintes imposées par les organisateurs pour l’exposition du mobilier métallique de Le Corbusier, Pierre Jeanneret et Charlotte Perriand édité par Thonet, cette dernière préfère claquer la porte de la manifestation. Elle est suivie par une vingtaine de créateurs, tous hérauts de la forme utile, efficace et hygiéniste. Mallet-Stevens en fait partie et signe avec les dissidents, le 15 mai, l’acte fondateur de l’Union des artistes modernes (UAM). Il en est même le premier président.
Entre Hoffmann et De Stijl
Alors ? Trop décoratif, lui qui justement s’oppose aux fioritures stylisées de l’Art déco ? Il est vrai que le salon de présentation du couturier Melnotte-Simonin inauguré en 1924 est encore empreint de relents hoffmanniens. Des frises décoratives délimitent la nudité des murs, dans la plus pure tradition de l’architecte viennois, Josef Hoffmann qui a marqué les années d’apprentissage de Mallet-Stevens, alors que ce dernier étudiait à l’École supérieure d’architecture. Au même moment, entre 1905 et 1910, l’architecte édifiait à Bruxelles le luxueux palais d’Adolf Stoclet (ill. 4), l’oncle du jeune homme. Rien moins que le chant du cygne de la Sécession viennoise. Pourtant, Mallet-Stevens sait regarder ailleurs, aussi bien du côté des rigueurs néoplastiques du groupe De Stijl (ill. 5) en Hollande, que vers Frank Lloyd Wright (il publie en 1925 un texte sur cet architecte dans Wendingen) ou le Japon. Il en retient la sobriété des intérieurs, la quasi-absence de mobilier, et la relation établie entre les espaces intérieurs et l’extérieur (ill. 1, 2 ; 20 à 26). Ces influences, il va les synthétiser dans les décors de cinéma (ill. 14 à 16).
Une œuvre totale
Ce riche terrain d’expérimentation sculptée par la lumière et détachée de tout souci architectonique permet peu à peu à Mallet-Stevens de mettre en place sa grammaire. En 1925, dans Le Vertige de Marcel L’Herbier, comme dans le hall d’une ambassade française à l’Exposition internationale des arts décoratifs et industriels, ou dans le garage Alfa Romeo de la rue Marbeuf, tout est en place. Les intérieurs sont pratiques et clairs. Les volumes s’y emboîtent en créant des contrastes expressifs. Est ainsi réalisée l’œuvre totale fusionnant toutes les disciplines. Dans le hall d’une ambassade, le vitrail de Louis Barillet éclaire une composition de Fernand Léger. Le carrelage de la concession Alfa Romeo dessine une composition abstraite contrastant avec celle du dessin du plafond et des murs. Dans Le Vertige, les horizontales des éléments intégrés à l’architecture – divans, étagères, luminaires – sont animées par les angles et les rondeurs du mobilier de Pierre Chareau. Car Mallet-Stevens est aussi un ensemblier. Il ne crée des meubles que par nécessité, préférant convoquer les créations de Francis Jourdain, Pierre Chareau (ill. 27), Hélène Henry, Eileen Gray, Jean Burkhalter ou Marcel Breuer. Beaucoup seront membres de l’UAM. Pour accentuer l’effet plastique de ses compositions intérieures, Mallet-Stevens n’hésitera pas à déplacer une cloison, sans raisons constructives. Ainsi le volume complexe du salon rose de la villa Noailles (1927, ill. 22) n’est pas entièrement dû à des contraintes de terrain. Par son orchestration des plans, il est aussi une composition plastique qui se suffit à elle-même. C’est sans doute dans cette gratuité qu’il faut trouver une des causes de l’accusation d’un Giedion attaché à une stricte orthodoxie constructiviste.
Mallet-Stevens, lui, n’est pas un doctrinaire. Son sens du confort tranche avec la rudesse polémiste de certaines créations de ses contemporains.
Le meuble au service de l’espace
Du mobilier, il n’en crée que pour des lieux précis, par exemple un fauteuil et des tables pour la piscine des Noailles à Hyères ou une chaise pour le restaurant du Salon des arts ménagers de 1935. Concernant les matières utilisées, bois et métal se côtoient (ill. 34 à 40), s’adaptant au contexte dans lequel le meuble s’intègre. La seule villa pour laquelle il conçoit l’entier mobilier, c’est la villa de Paul Cavrois (1932, ill. 35, 37, 40) à Croix près de Roubaix. Bien entendu, le meuble est mis au service des objectifs spatiaux, qu’il soit intégré à l’architecture ou disposé dans l’espace. Il participe à la différenciation des pièces, celui dévolu aux parents offrant des volumes massifs et cubiques, celui des enfants bénéficiant d’un traitement plus dynamique sous l’influence du néoplasticisme. L’architecture intérieure est dématérialisée au profit de l’expression de l’espace. Des miroirs placés dans les angles annihilent ces derniers. L’éclairage naturel et artificiel faisant corps avec l’architecture – œuvre d’André Salomon – répond à la « profusion d’air et de lumière » voulue dès 1911 par l’architecte, lorsqu’il publie pour la première fois ses dessins d’intérieur dans la revue belge Le Home. En 1924 le couturier Jacques Doucet lui demande de travailler sur un projet de villa avec Paul Raud. Un morceau de choix destiné à l’un des plus grands collectionneurs de son temps. Mallet-Stevens ne s’accommode pourtant ni d’un projet destiné à recevoir des œuvres indépendantes les unes des autres, ni de la forte personnalité des créations de Pierre Legrain, imposé par Doucet. Il préfère s’adonner au Vertige de L’Herbier (ill. 15), en compagnie de Pierre Chareau, Jean Lurçat, Marie Laurencin et les Delaunay. Un travail d’équipe dans la veine qu’il privilégie, alliant élégance et l’usage juste de la forme. Un dandy des temps modernes.
« Robert Mallet-Stevens, architecte », se tient du 27 avril jusqu’au 29 août, tous les jours sauf le mardi, de 11 h à 21 h ; le 2e jeudi du mois jusqu’à 23 h (fermeture des caisses à 22 h) ; fermé le 1er mai. Tarifs : 10 et 8 euros. PARIS, Centre Pompidou, IVe, tél. 01 44 78 12 33.
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Mallet-Stevens décorateur
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans L'ŒIL n°569 du 1 mai 2005, avec le titre suivant : Mallet-Stevens décorateur