L’orientation figurative des dernières œuvres de Malevitch, pour dérangeante qu’elle soit, n’est pas un simple phénomène de « retour » ou de reniement de l’abstraction (L’Œil n°494). Elle s’accompagne d’une réflexion sur le sens de l’histoire, qui amène le peintre, après avoir condamné pinceaux et chevalet en 1920, à une complète reformulation de son parcours artistique. Tout d’abord viennent les nombreux carrés, croix et cercles noirs antidatés qui remplacent des toiles perdues de 1915 à la Biennale de Venise de 1924, à la rétrospective organisée en Pologne et en Allemagne en 1927, puis à celle de Moscou en 1929. Ensuite, ce sont des œuvres « impressionnistes », datées de 1903-1904, que Malevitch réalise à la fin des années 20 dans l’idée d’ajouter le chaînon manquant à la logique formelle de son évolution picturale. Le processus de manipulation chronologique est donc bien entamé déjà lorsque le peintre, confronté à l’intolérance croissante du régime envers la culture d’avant-garde, s’attelle à une reprise des thèmes paysans qui l’avaient occupé entre 1912 et 1913, afin d’exprimer de manière voilée sa critique de l’autorité stalinienne – les antidatations préservant alors les œuvres de la censure. La proposition souterraine du dernier Malevitch,– concilier la peinture pure du suprématisme avec un nouveau langage figuratif –, devient explicite à partir de 1933. C’est à ce moment que l’artiste entreprend sous le titre de « la ville socialiste » un nouveau projet utopique faisant référence à la « cité idéale » de la Renaissance. La complexité du corpus des années 1923-1935 apparaît pour la première fois dans l’exposition de Bielefeld, fruit d’un travail très attendu de redatation effectué par le Musée russe de Saint-Pétersbourg. Comportant nombre d’œuvres majeures, le parcours permet aussi d’étudier « sur pièces » le dialogue rétrospectif du suprématisme avec les pionniers de la libération de la couleur : impressionnisme et fauvisme.
BIELEFELD, Kunsthalle, jusqu’au 21 mai.
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Malevitch redaté
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans L'ŒIL n°516 du 1 mai 2000, avec le titre suivant : Malevitch redaté