Surface

Maîtrise d’ouvrage

Par Itzhak Goldberg · Le Journal des Arts

Le 14 mars 2017 - 725 mots

Montpellier offre à François Rouan une rétrospective permettant une lecture instructive de son œuvre.

MONTPELLIER - Évitant la lourdeur d’une rétrospective à la prétention exhaustive, l’exposition de François Rouan à Montpellier est présentée à la façon d’une promenade où les tableaux, accrochés élégamment, peuvent « respirer ». Le parcours chronologique – en cinq décennies, de 1966 à 2016 – renvoie le spectateur d’un repère à l’autre dans l’œuvre. De fait, l’accrochage du rez-de-chaussée du Musée Fabre permet souvent une vision simultanée des toiles « historiques » et de la production toute récente de l’artiste. Le titre du dernier chapitre, couvrant la période de 2006 à nos jours : «
Retour-Avant », résume l’intention des commissaires de montrer la cohérence de l’évolution de ce travail de longue haleine.

La manifestation débute par les œuvres les plus connues de Rouan, faisant appel au tressage. Ce procédé compte parmi les gestes primordiaux choisis par les artistes contemporains (l’empreinte, la lacération, l’incision, le recouvrement, le collage). Rouan, sous l’impact des gouaches découpées de Matisse, va expérimenter la matérialité et la texture de la peinture, sa peau en quelque sorte.

C’est à Rome, en 1971, à la Villa Médicis dirigée par Balthus, que l’artiste développe ce qu’il nommera le « Tressage », cette transgression picturale de la hiérarchie traditionnelle du recto verso. Il procède à partir de toiles colorées et découpées en bandes alternées, entrecroisées et réunies par la suite en compositions informelles, proches d’un échiquier irrégulier ou d’un entassement bigarré. Ces « tresses » forment des surfaces complexes, épaisses ou profondes, qui rappellent que la peinture possède un dessous et un dessus, qu’elle donne à voir et en même temps se dérobe au regard. Peinture, car même lorsque l’artiste délaisse le tissage, c’est à l’aide de couleurs fragmentées, discontinues, de trames ondulantes et de passages chromatiques subtils, aux limites incertaines, qu’il continue à produire les mêmes effets de transparence et de superposition. Pour Rouan, ses tableaux sont « un entrecroisement serré de regards de part et d’autre de la toile… un tressage aux entrées multiples ».

Des motifs semi-figuratifs
Les quelques splendides « Portes de Rome » montrées ici sont comme des mosaïques ou des marqueteries, des puzzles faits de formes sans contours, qui se fondent les unes dans les autres sans pour autant disparaître.

Puis, à la différence de l’abstraction radicale pratiquée par les membres de Supports-Surfaces, Rouan va accorder de plus en plus d’importance aux motifs semi-figuratifs qui se laissent deviner à la surface. Des architectures baroques, des corps ou plutôt des contours de corps issus de la peinture siennoise – essentiellement la fameuse fresque d’Ambrogio Lorenzetti – font leur apparition. Ce sont les « Saisons » de format ovale ou les « Cassoni », qui évoquent les couvercles des coffres de mariage. Cassone I (1975), cette œuvre monumentale qui attire l’œil dès l’entrée, est une nappe chromatique d’une luminosité irradiante, composée d’innombrables teintes. Faut-il croire que, parvenu à un tel degré de virtuosité, Rouan craigne le danger qui menace de nombreux peintres contemporains, celui de l’esthétique décorative, de la séduction un peu vaine ? Ou bien, faut-il s’accorder à l’hypothèse des commissaires selon laquelle le retour au corps à partir des années 1980 est lié à l’histoire personnelle de l’artiste ? Quoi qu’il en soit, on peut être moins sensible aux « Empreintes », où se bousculent des anthropométries de corps mutilés et des motifs tantôt géométriques, tantôt organiques. Le résultat est mitigé, voire dissonant, car à la différence des créateurs qui s’attaquent de front à l’anatomie humaine, Rouan semble hésiter et garder une présence trop marquée de la figure.

Cependant, il est possible que ce passage ait été bénéfique pour la suite de sa production picturale. Si les paysages (la série de « Mappes », 2002-2004) reprennent les principes des tressages, la composition de ces toiles est moins régulière. Le traitement devient plus gestuel (Engiadina blanche, 2001-2003), les taches et les éclaboussures évoquent une version ironique du dripping (Mappe rose translucide aspergée d’éclaboussement verdâtre, 2003-2005). La tension qui se dégage des œuvres des dernières années de Rouan témoigne d’une capacité à ordonner ensemble l’ordre et le chaos, d’une maîtrise qui lui permet des allers-retours, de nouveaux départs, des ramifications imprévisibles. Autrement dit, un art qui continue à surprendre.

ROUAN

Commissaires : Isabelle Monod-Fontaine, conservatrice générale du patrimoine ; Stanislas Colodiet, conservateur au Musée Fabre
Nombre d’œuvres 70

François Rouan, Tressages

Jusqu’au 30 avril, Musée Fabre, 39, bd Bonne-Nouvelle, 34000 Montpellier, tél. 04 67 14 83 00, www.museefabre.fr, tlj sauf lundi 10h-18h, entrée 8€. Catalogue, 200 p., 35 €.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°475 du 17 mars 2017, avec le titre suivant : Maîtrise d’ouvrage

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