Le Musée des beaux-arts invite à une « contemplation tactile » de copies de sculptures afin d’en faire une autre expérience.
Lyon. Le titre provocateur, « Prière de toucher », donné par Marcel Duchamp à un généreux sein en latex collé sur la couverture du catalogue de l’exposition « Le surréalisme en 1947 », fait désormais partie de l’histoire. Ce titre, un cauchemar pour tout conservateur qui se respecte, est repris au Musée des beaux-arts de Lyon. Pour autant, la manifestation n’a rien de transgressif et ne remet pas en cause l’interdiction de toucher qui s’applique aux objets d’art, ces objets de culte contemporains. Dès qu’une pièce artistique s’expose au regard, elle est entourée de mesures de protection, allant d’une ligne jaune qu’il ne faut pas franchir à des vitres qui s’interposent entre elle et le spectateur. Le désir de contact avec l’œuvre se heurte à un interdit absolu ; « tu ne toucheras point » semble être le commandement essentiel qui régit la religion de l’art.
Certes, ce n’est pas la première fois que l’on a droit à une réflexion sur l’approche tactile des œuvres. En 1993, le Musée Sainte-Croix des Sables-d’Olonne (Vendée) et, en 2016, le Musée Tinguely de Bâle abordaient déjà cette problématique avec respectivement « Haptisch. La caresse de l’œil » et « Prière de toucher ». À Lyon, toutefois, il ne s’agit pas de montrer des œuvres réalisées par contact avec la peau et le corps – des empreintes ou des traces. Les organisateurs « invitent les visiteurs à vivre une nouvelle expérience sensorielle de la sculpture […] en offrant à la paume des mains une contemplation tactile de chefs-d’œuvre de l’Antiquité au XXe siècle ».
L’intérêt de cette proposition réside dans sa visée pédagogique. Les objets présentés, essentiellement des reproductions de sculptures célèbres, incitent à ne pas privilégier la vision, considérée comme le mode de connaissance le plus sophistiqué au détriment du toucher. Ainsi le spectateur, les yeux bandés et accompagné d’un audioguide, peut-il expérimenter le contact avec les œuvres « à l’aveugle » et découvrir de nouvelles sensations. Il est d’ailleurs probable que ce tâtonnement, qui exige une concentration plus importante que celle d’un regard parcourant rapidement les formes, interroge la domination du percevoir sur le sentir, de l’optique sur le haptique. Les mains qui se promènent épousent progressivement les contours, glissent sur les surfaces lisses de La Rieuse (1870) de Jean-Baptiste Carpeaux, s’arrêtent sur les plis de la robe de chambre de Voltaire (Jean-Antoine Houdon, 1780-1790), mesurent la dureté et la froideur du marbre de L’Ange déchu (1895) de Rodin ou encore la rugosité du bronze (Tête de l’Éloquence, Émile Antoine Bourdelle, 1913-1923).
On peut regretter – veto des conservateurs ? – le choix limité des matériaux et l’absence d’œuvres contemporaines. Cependant, on conseille vivement aux visiteurs de suivre discrètement les malvoyants qui visitent cette exposition, car on apprend à cette occasion que les œuvres d’art obéissent autant au doigt qu’à l’œil.
Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°528 du 6 septembre 2019, avec le titre suivant : À Lyon, on peut toucher les œuvres