50 projets racontent un demi-siècle d’architecture au Portugal. Des constructions et une pensée marquées par une approche universaliste induite par l’histoire de ce pays
PARIS - On a tendance à réduire le Portugal à une terre de traditions, ancrée entre fado et azulejos. Ledit cliché a fait long feu. Ce « petit » pays produit aussi le meilleur de la contemporanéité, en particulier en matière d’architecture. On n’y compte pas moins de deux Pritzker Prize (le « Nobel » en architecture) : Alvaro Siza et Eduardo Souto de Moura, soit autant qu’en France, en Allemagne, en Italie ou au Brésil, et davantage qu’en Espagne, aux Pays-Bas et même… en Chine. Le Portugal figure indubitablement dans le peloton de tête des pays prolifiques en architecture contemporaine, livrant, depuis plus d’un demi-siècle, nombre de bâtiments à la qualité notoire. En témoigne « Les Universalistes, 50 ans d’architecture portugaise », exposition présentée à la Cité de l’architecture et du patrimoine, à Paris, et conçue à l’occasion du 50e anniversaire (1965-2015) de l’antenne parisienne de la Fondation Calouste Gulbenkian.
Les fondateurs de la modernité portugaise
C’est ce que l’on a coutume d’appeler une « exposition-catalogue ». D’ailleurs le parcours, compact, suit scrupuleusement le déroulé du catalogue, chaque tête de chapitre scandant une section de l’exposition. Ni plus, ni moins. Il y en a cinq en tout, intitulées : « Universalisme versus [inter]nationalisme (1960-1974) », « Universalisme versus colonialisme (1961-1975) », « Universalisme versus révolution (1974-1979) », « Universalisme versus européanisme (1980-2000) » et « Universalisme versus globalisation (2001-2016) ». On ne saurait être plus rigoureux. Aussi, cinquante projets sont déployés dans ces « 50 ans d’architecture portugaise ». Le dispositif, efficace même si parfois un peu monotone, est toujours identique : chaque réalisation fait l’objet d’une analyse concise en trois panneaux mêlant photographies, plans et textes, auxquels s’ajoute une maquette. Le visiteur doit donc s’armer de patience pour passer en revue chacun des projets. Son effort sera néanmoins amplement récompensé, car s’étale alors, devant ses yeux, l’histoire singulière de cette architecture lusitanienne.
On retrouve les travaux de maîtres d’œuvre reconnus tels Eduardo Souto de Moura – également conseiller scientifique de l’exposition –, João Luís Carrilho da Graça ou feu Alcino Soutinho. L’incontournable Alvaro Siza (83 ans) a sa place à travers sa virtuose Fondation Iberê Camargo, à Porto Alegre (Brésil), qui évoque tout à la fois la sinuosité sensuelle d’Oscar Niemeyer, la matérialité brutaliste de Lina Bo Bardi et la typologie en spirale du Musée Guggenheim de New York, signé Frank Lloyd Wright. Sont aussi présents quelques-uns des architectes phares de ces dernières décennies avec, étonnamment, l’institution artistique comme « passage obligé » : Manuel Roca Mateus et Francisco Xavier Mateus (Centre de création contemporaine Olivier-Debré, à Tours), João Mendes Ribeiro et Cristina Guedes & Francisco Vieira de Campos (Centre des arts contemporains Arquipélago, aux Açores), Paulo David (Centre artistique Casa das Mudas, à Madère). Émerge en outre la figure, peu connue à l’étranger, de Fernando Tavora (1923-2005), qui a posé les fondements de cette modernité portugaise, dont on peut voir ici le couvent des franciscaines de Calais, à Gondomar, dans lequel il sublime architecture vernaculaire et rigueur du béton.
Vaste programme social
Qui dit histoire portugaise dit colonisation ou révolution des œillets. Ainsi, à Machava (Mozambique), au début des années 1960, Amâncio Guedes se moque-t-il du style international en recouvrant l’église de la Sagrada familia d’un insolite toit en forme de gondole. Tandis qu’au Portugal, quelques mois après la révolution d’avril 1974, l’État, pour venir en aide aux populations touchées par la précarité, lance un vaste programme de construction d’infrastructures et de logements, les SAAL – Serviço de apoio ambulatorio local. Les architectes s’y attellent, comme le montre l’ensemble « La Panthère rose » à Chelas, conçu dans la banlieue de Lisbonne par Gonçalo Byrne et Antonio Reis Cabrita, ou le limpide quartier de la Malagueira à Évora, par Alvaro Siza.
Apport intéressant, plusieurs personnalités racontent, dans des films, leur propre expérience portugaise. À ne pas rater : le philosophe Eduardo Lourenço qui, à mots choisis, livre sa vision de l’histoire de son pays : du « vertige » du Portugal post-révolution jusqu’aux difficultés d’un sentiment européen. Éclairant !
Commissaire de l’exposition : Nuno Grande, architecte et professeur d’université
Conseiller scientifique : Eduardo Souto de Moura, architecte, Pritzker Prize 2011
Scénographie : Jean-Benoît Vétillard, architecte ; José Albergaria et Rik Bas Backer (Change is Good), graphistes
Nombre de projets : 50
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L’universalisme lusitanien
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Abonnez-vous dès 1 €Jusqu’au 29 août, Cité de l’architecture et du patrimoine, 1, place du Trocadéro, 75016 Paris
tél. 01 58 51 52 00
Catalogue éd. Parenthèses, Marseille, 320 p., 35 €.
www.citechaillot.fr.
Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°459 du 10 juin 2016, avec le titre suivant : L’universalisme lusitanien