Le Jeu de paume célèbre le 10 e anniversaire de la disparition de Lucien Hervé au château de Tours. Une rétrospective d’une œuvre majeure qui sublime la géométrie de l’espace dans un accrochage où l’émotion fait défaut.
Tours. Lucien Hervé compte parmi les photographes qui ont révolutionné la photographie d’architecture. Il se range aussi parmi ceux qui ont su développer leur propre langage. Dix ans après sa disparition, le 26 juin 2017, le Jeu de paume revient au château de Tours sur l’itinéraire de László Elkán, né en Hongrie le 7 août 1910, naturalisé français en 1937 et rentré dans la clandestinité sous le nom de Lucien Hervé durant la Seconde Guerre mondiale. Toutefois le propos d’Imola Gebauer, commissaire de cette rétrospective, cherche moins à tisser un parcours qu’à éclairer le positionnement du photographe vis-à-vis du médium. « Pour Lucien Hervé, la photographie est un point de départ. Son intérêt réside dans l’effet qu’elle provoque ou dans le message qu’elle transmet », souligne l’historienne de l’art et collaboratrice du photographe dans les années 2000 et qui, depuis huit ans, travaille sur ses archives. Le dessinateur qu’il fut d’abord, puis le peintre, a trouvé dans la photographie le moyen de forger une écriture ciselée, à la rigueur synonyme de dialogue des lignes et des formes géométriques qui ont tant séduit Le Corbusier, mais également Alvar Aalto, Lucio Costa, Marcel Breuer, Walter Gropius et Oscar Niemeyer.
Les premières années (1938-1949) observées en ouverture de l’exposition posent les jalons de sa démarche. Les photographies prises du balcon de son logement, qui donneront la série « Paris sans quitter ma fenêtre », celles de la tour Eiffel ou encore des bords de Seine réalisées durant la même période, expriment une construction en plongée ou contre-plongée de l’image, centrée autant sur la rigueur du cadrage que sur la justesse, l’harmonie, la beauté de la dialectique des formes et des lignes à l’intérieur du détail d’une scène ou d’une architecture. Des exigences indissociables. Surtout la rigueur, maître-mot de Lucien Hervé, qui ne s’interdit pas le recadrage du tirage. Au contraire, lui-même le rappelle dans le film Lucien Hervé, photographe malgré lui de Gerrit Messiaen projeté dans l’exposition. « Le Corbusier m’a un jour posé la question : comment êtes-vous devenu photographe ? Je lui ai répondu avec une paire de ciseaux. Cela me permettait de regarder mes propres photos avec un œil critique. Cela faisait peut-être partie de mon passé politique (NDLR membre du Parti communiste, Lucien Hervé en fut par deux fois exclu). Éviter ce qui est superflu. »
Les portraits d’Henri Matisse à Nice, de Fernand Léger à Paris, du père Couturier à Audincourt, de Le Corbusier devant sa sculpture Le Totemà Boulogne, ou encore du compositeur hongrois György Hurtag en 1985 ne dérogent pas à ce principe. Pas plus que les portraits inédits de son épouse Judith Hervé et leur fils Daniel sur la plage dans les années 1960. Au-delà de la rencontre décisive qui a marqué chacun, la composition fermée de l’image signe la méthode structurale de Lucien Hervé que l’on retrouve dans ses photographies d’architectures modernes, sacrées, profanes ou encore de scènes de rue. Le cadre s’aiguise systématiquement sur les détails d’une structure, l’articulation des volumes et des contrastes de lumière, voire des couleurs en ce qui concerne les photographies de son appartement.
La photographie pour Lucien Hervé est un espace particulier composé, un travail de langage. La fonction représentative est déplacée sur un autre objet : le fragment ou le detail, lui-même flirtant avec l’abstraction à la fin de sa vie. « Ce que l’on peut exiger d’une image d’architecture, c’est de traduire en même temps que l’émotion ressentie devant elle les raisons même de cette émotion », écrit Lucien Hervé dans un texte inédit publié dans le catalogue. Or on perd cette émotion progressivement au château de Tours, surtout au premier étage. De salle en salle, le découpage thème par thème trop systématique, tout comme le parti pris de l’accrochage de s’inspirer des expositions conçues par Lucien Hervé donnent à cette première grande monographie une rigidité à la limite de la froideur. Trop contenue dans son souci de transmettre ce que le photographe a voulu exprimer, la démonstration ne se donne pas la liberté d’esquisser d’autres points de vue sur l’œuvre ni de s’en saisir autrement. Les deux films projetés sur Lucien Hervé dans l’exposition, dont celui du photographe et cinéaste Illés Sarkanty, apportent de la chair à l’instar des documents inédits placés en vitrine. Reste que cette rétrospective, la première de cette ampleur (plus de 160 photographies, dont nombre d’inédites) organisée par une institution, met en lumière une œuvre majeure.
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Lucien Hervé, l’interprète de l’espace
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Abonnez-vous dès 1 €Lucien Hervé, Géométrie de la lumière,
jusqu’au 27 mai, Jeu de paume, château de Tours, 25 avenue André Malraux, 37000 Tours.
Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°494 du 2 février 2018, avec le titre suivant : Lucien Hervé, l’interprète de l’espace