Longtemps mal aimé des historiens pour sa production prolifique, le peintre est pourtant l’un des artistes les plus brillants du Seicento, comme le montre l’exposition du Petit Palais.
C’est un surnom qui lui colle irrésistiblement à la peau, un sobriquet qui a incontestablement nui à sa réputation posthume : « Luca fa presto », littéralement « Luca fait vite », autrement dit « peint vite ». Une célérité à double tranchant, car si elle évoquait de son vivant son extraordinaire virtuosité et sa sidérante force de travail, elle s’est depuis chargée d’une connotation nettement moins sympathique. Car cette rapidité proverbiale a progressivement sous-entendu que le peintre allait surtout vite en besogne et qu’il recouvrait à larges coups de brosse des mètres carrés de toile et de murs. Des grandes machines, forcément, insipides et sans âme.
Il faut dire que sa réputation de « faiseur » n’est pas usurpée. Avec plus de 5 000 tableaux et fresques à son compteur, Luca Giordano est l’un des peintres les plus prolifiques de tous les temps. L’un des plus versatiles aussi. Une autre « tare » qui ne lui attira pas la sympathie des historiens. Véritable caméléon en quête de gloire, et donc de commandes, Giordano n’a cessé sa carrière durant de s’adapter aux modes et aux goûts de ses commanditaires, faisant constamment évoluer son style et sa manière. Du naturalisme le plus ténébreux au baroque déclamatoire. Une faculté d’adaptation inouïe, un opportunisme outré diront certains, à l’origine d’une incroyable success-story.
Sollicité de toutes parts, de Venise à Madrid en passant par Naples, raflant les plus prestigieux concours et commandes, Giordano était l’une des vedettes du Seicento ; un artiste célébrissime, adulé des puissants, et riche comme Crésus. Un anti-Caravage en somme. Pas étonnant, dès lors, qu’au fil des siècles son aura ait pâli au point que son nom disparaisse pratiquement des manuels d’histoire de l’art, discipline qui se forgea au XIXe siècle, en même temps que le mythe du génie moderne glorifiant les artistes maudits, réels ou supposés. Les losers magnifiques ont infiniment plus la cote que les membres de l’establishment ! Dans le cas de Giordano, cette réussite insolente mêlée à une virtuosité sans pareil, dénigrée à tort comme une vaine facilité, a de toute évidence oblitéré la qualité réelle de son œuvre.
L’échantillon de peintures monumentales rassemblées au Petit Palais cet hiver remet heureusement les pendules à l’heure et démontre que Luca Giordano est tout simplement l’un des artistes les plus brillants de son époque. Paradoxalement, cette démonstration met aussi en avant un aspect plus inattendu de son œuvre : sa modernité presque anachronique. Sa carrière et sa démarche présentent en effet de troublantes similitudes avec les artistes modernes, voire contemporains. Difficile par exemple de ne pas déceler certains atomes crochus avec les artistes de salon de la fin du XIXe siècle, ceux que l’on appelait hier encore les « pompiers ». Les détails éminemment crus de ses vastes compositions dramatiques semblent ainsi anticiper les tableaux racoleurs et spectaculaires d’un Gérôme. Tandis que Cabanel n’aurait pas renié ses nus totalement impudiques, bien que porcelainés, qui placent avec gourmandise le spectateur en position assumée de voyeur.
Plus surprenant encore, le caractère versatile de Giordano et sa faculté à ingurgiter une quantité phénoménale de références visuelles et stylistiques font de lui un lointain ancêtre de l’ogre Picasso. Enfin, sa pratique méconnue de talentueux pasticheur fait presque de ce passionnant peintre du Grand Siècle un précurseur improbable de l’appropriationnisme.
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Luca Giordano , « Vite fait, bien fait »
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans L'ŒIL n°730 du 1 janvier 2020, avec le titre suivant : Luca Giordano , « Vite fait, bien fait »