Le MAC Lyon esquisse un portrait de la scène artistique de la mégapole californienne en tentant un fin rapprochement avec la fiction littéraire.
LYON - « Des jets décollaient de l’aéroport dans le mauvais sens, les bruits de moteur ne traversaient pas le ciel là où ils auraient dû, si bien que les rêves de tout le monde en étaient perturbés, et encore, quand les gens trouvaient le sommeil. » Où cela donc ? À Los Angeles bien entendu, et c’est une phrase tirée d’un roman du grand Thomas Pynchon (Vice caché, 2009 [2010 au Seuil]), qui en fait état sur un mur du MAC Lyon. La mégapole californienne y est à l’honneur et c’est la presque totalité de deux niveaux du musée d’art contemporain qui est dévolue à une exploration de sa jeune scène – non sans que ne s’y glissent quelques figures iconiques tels Ed Ruscha, John Baldessari ou Larry Bell.
Organisée par Thierry Raspail en collaboration avec Gunnar B. Kvaran – qui semble avoir retrouvé là l’inspiration après sa calamiteuse Biennale de Lyon en 2013 – et Nicolas Garait-Leavenworth pour la littérature, cette proposition a pris le parti singulier d’étudier ce terrain sous l’angle de la fiction : elle mêle aux arts visuels des extraits littéraires qui, sans entrer dans le registre de l’illustration, renforcent l’impression d’ambivalence et de complexité de L.A. La partition est bien jouée car les extraits des textes de Christa Wolf, Joan Didion, Héctor Tobar ou Kenneth Goldsmith sont suffisamment courts et disséminés pour ne pas « perdre » en route le visiteur, tout en instillant chez lui une forme de doute quant à la nature et la véracité de ce qu’il a sous les yeux.
Entre réel et fiction, entre naturel et factice
Or c’est bien un territoire ambigu que dépeint l’exposition, à commencer par ces mannequins de Charles Ray dont la texture a toujours provoqué des interrogations, si ce n’est un certain malaise. La ville de l’industrie cinématographique qui produit de la fiction au kilomètre est passée maître dans l’art de brouiller les pistes entre réel et fiction, profondeur et superficialité, ou naturel et factice. En témoigne en particulier une œuvre de William Leavitt, Garden Sound (1970-2011), qui donne à voir un bosquet de plantes artificielles où l’eau censée l’arroser s’écoule dans une caisse en bois à proximité, dont le son est capturé par un micro et amplifié.
La question du paysage et de l’urbain tient là une place importante, notamment dans une belle salle où un immense tableau de Jonas Wood reproduit la terrasse arborée d’une maison de la « middle class » dans le contour du pot d’une plante, toile qui converse avec une évocation aérienne des autoroutes dans une sculpture d’Hannah Greely.
Parfois quelques rapprochements tombent à l’eau, tel celui d’Alex Israel, dont le travail obsédé par le glamour cinématographique ne dépasse jamais la surface qu’il survole, avec les photographies profondes d’une réalité sociale autrement plus dure – maisons de bord de mer délabrées, intérieurs cafardeux – de John Divola.
L’exposition est néanmoins réussie en ce qu’elle ne se contente pas d’exploiter une aisée fibre visuelle, ensoleillée ou colorée, mais se plonge dans des réalités sociales contrastées. En témoigne la salle dévolue à l’admirable Henry Taylor, dont la peinture relit l’histoire américaine à l’aune de la figure noire et de la ségrégation. Est exposée là en outre une magnifique installation faite de matériaux domestiques – serpillières, chaises, bidons de plastique – qui semble évoquer une foule en colère (It’s like a Jungle, 2011). « L’épicerie Gonzales avait été pillée, mais une seule partie du toit avait brûlé alors que le magasin qui faisait l’angle, le Lucky Dime Liquors, avait été réduit en cendres », écrit ailleurs Walter Mosley.
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Los Angeles, entre grandeur et décadence
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Abonnez-vous dès 1 €Jusqu’au 9 juillet, Musée d’art contemporain de Lyon, Cité internationale,
81, quai Charles-de-Gaulle, 69006 Lyon.
Légende Photo
Vue de l’exposition « Los Angeles, une fiction » au MAC Lyon, avec les œuvres de Jonas Wood. Courtesy David Kordansky Gallery, Los Angeles et Astrup Fearnley Collection, Oslo. © Photo : Blaise Adilon.
Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°476 du 31 mars 2017, avec le titre suivant : Los Angeles, entre grandeur et décadence