BRUXELLES / BELGIQUE
Le peintre belge Yves Zurstrassen s’installe à domicile, au Bozar de Bruxelles, l’occasion de découvrir un travail intriguant.
Bruxelles.« Je fais tout à l’envers », précise Yves Zurstrassen et on ne s’en serait pas douté. La phrase est d’autant plus surprenante et plaisante qu’elle est prononcée par un artiste particulièrement rigoureux et méthodique. Il suffit pour s’en convaincre de voir son atelier, à Uccle, l’une des communes de Bruxelles, où tout est rangé, agencé, classé avec un soin clinique.
Cet ordre, Yves Zurstrassen (né en 1956) en a besoin pour travailler ; il lui permet d’appliquer sa méthode et de la théoriser avec son corollaire, le discours de la méthode. Car ce que Zurstrassen entend par « envers » n’est pas forcément le contraire d’« endroit ». Il s’agit plutôt de retourner les choses, de soustraire alors qu’on croit qu’il additionne, de travailler comme en négatif et non en positif, de faire en sorte que son motif récurrent, le petit cercle (mais il y en a d’autres, l’astérisque, l’étoile…) ne soit pas peint, mais en réserve.
Ainsi, pour chaque toile, Zurstrassen peint d’abord un fond. Il dessine ensuite sur ordinateur ses motifs qu’il imprime avec perforations sur des macules. Il enduit alors celles-ci de peinture avant de les appliquer sur la toile et de les décoller dans la foulée. Résultat : la couleur apposée reste sur la toile comme une décalcomanie et le poinçonnage, tel un pochoir, laisse remonter la tonalité des fonds.
L’évocation de sa technique, ce qu’on appelle communément la « cuisine d’atelier », n’aurait guère de sens si elle ne permettait d’abord de répondre à la récurrente (et ici intrigante) question du « comment c’est fait ? », et surtout de comprendre ce qui permet à Zurstrassen cette formidable liberté. Une liberté aussi bien de tons que de formes et de rythmes correspondant chaque fois à différentes périodes de travail que l’exposition fait se succéder par salles. Cinq au total qui enchaînent ainsi une série d’œuvres en noir et blanc, une autre dominée par une polychromie en apparence (seulement) désordonnée, une autre encore qui, au contraire, rassemble des toiles noires et jaunes à la géométrie très construite (rectangles, carrés) ou sur fond rouge avec des carrés de couleurs variées. Cette liberté lui permet également de déchirer ses macules en lambeaux, de façon plus aléatoire, ou de glisser dans ses trames des figures fantômes, à peine perceptibles, comme ici le regard de Pablo Picasso, ou là un crâne sorti d’une nature morte de Paul Cézanne, ou même de revenir au pinceau sur ses tableaux dans une étape finale.
L’exposition, dont le commissaire est Olivier Kaeppelin, est d’ailleurs titrée « Free », en clin d’œil au jazz dont l’artiste est féru et en référence au free-jazz dont le principe repose justement sur une improvisation détachée de la grille initiale. On ne saurait mieux dire concernant le travail de Zurstrassen.
Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°534 du 29 novembre 2019, avec le titre suivant : L’ordre inversé de Zurstrassen