Anna et Bernhard Blume n’ont encore jamais eu d’exposition personnelle en France, et l’on peut s’interroger sur cette absence. Une photographie trop philosophique pour notre matérialisme, trop actionniste pour notre goût de l’image léchée ?
PARIS - Des diptyques ou des triptyques, en tirages d’environ un mètre, où l’on devine des actions peu explicites, mais antagonistes, dans lesquelles apparemment un personnage serait littéralement agressé par un objet blanc. Tout est un peu flou, comme saisi avec un appareil d’amateur à la précision insuffisante, par un opérateur en déséquilibre permanent.
L’exposition de la galerie Bouqueret-Lebon permet de constater qu’il y a une permanence du travail, une direction ferme, même si elle se manifeste dans un sujet peu spectaculaire, sans recherche de mélancolie ou d’emphase. Et il y a effectivement un sujet constant : le rapport de l’individu et des objets, qui ne consiste pas seulement à douer ceux-ci d’une âme par procuration, mais à la montrer, à prouver par la photographie qu’ils ne sont qu’une âme, des esprits violents et frappeurs qui ne rêvent que de nous régler notre compte, comme nous leur avons trop vite réglé le leur en les fabriquant – sans toutefois les faire à notre image –, et c’est bien cela qu’ils pourraient nous reprocher : un esprit de création minimaliste et peu généreux à leur égard.
La série de plusieurs pièces, présentée actuellement, fait penser à une déconstruction du constructivisme, à la chute inopinée du Merzbau de Schwitters, ou à une dégringolade tragique dans un photogramme de Moholy-Nagy. Dans toutes les séries produites par les Blume, c’est une confrontation qui se produit entre un individu, lui ou elle, et un objet volant peu identifiable, parfois une assiette, une tasse, une cruche, un vase (Déterminisme magique, 1974-1975).
La série photographique rend compte d’une petite action apparemment insignifiante, mais où l’on voit bien que le vivant n’a pas forcément le dessus : Anna Blume paraît propulsée par un canapé sauteur, plus qu’elle ne rebondit volontairement dessus. La photographie n’est plus prise pour preuve, elle est prise à témoin de l’instabilité des données conscientes, comme si on pouvait, à travers chaque image, jeter un coup d’œil instantané sur une petite catastrophe domestique, un peu honteuse, qui verrait la rébellion des meubles. C’est une petite guerre, plus psychologique qu’il n’y paraît. Elle appartiendrait même aux sphères de la philosophie, mais elle serait déterminante si les objets pouvaient gagner la guerre qu’ils nous mènent depuis longtemps, par philosophes – et photographes – interposés.
Anna et Bernhard Blume, Galerie Bouqueret-Lebon, 69, rue de Turenne 75003 Paris, jusqu’au 30 juillet.
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L’ordinaire de la catastrophe domestique
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°5 du 1 juillet 1994, avec le titre suivant : L’ordinaire de la catastrophe domestique