À la Royal Academy of Arts, la confrontation entre peintres aborigènes et artistes occidentaux dessine difficilement les contours d’une identité artistique australienne.
Londres - De l’art australien, le public européen connaît essentiellement la peinture aborigène et ses grandes toiles cosmiques aux allures de cartographies célestes. Un terme résume à merveille ces œuvres traversées de fulgurances : « Le temps du rêve », soit l’époque originelle et mythique qui a vu naître sur la terre les premiers êtres surnaturels pour la culture aborigène, mais aussi les premiers paysages tels qu’ils existent encore. Aussi séduisantes soient-elles à notre jugement occidental épris d’abstraction, ces toiles zébrées de signes cabalistiques et ponctuées de trous d’eau et de rivières sont cependant bien plus que des œuvres d’art aux yeux des peintres et de leur communauté. Morceaux d’une mémoire rituelle sans cesse réactivée, elles symbolisent un ensemble de mythes partagés par un groupe d’hommes et de femmes sur un même territoire géographique, affectif et spirituel. On ne peut donc séparer ces œuvres du contexte qui les a vues naître : elles en sont son prolongement viscéral et identitaire…
Certes, l’on ne peut ignorer que c’est par l’entremise d’un Occidental, Geoffrey Bardon, que l’art contemporain aborigène est né à l’aube des années 1970. Sous l’impulsion de ce jeune professeur de dessin fraîchement débarqué dans un centre de peuplement planté au beau milieu du désert central, une poignée d’hommes initiés osa braver les interdits en peignant une fresque exhibant des motifs rituels vieux de plus de vingt mille ans. On connaît la suite… Dans le sillage de l’école de Papunya (Australie centrale), d’autres peintures vont à leur tour surgir du désert, dévoilant de nouveaux répertoires de signes et de couleurs. En quelques décennies, des maîtres sont repérés, leurs toiles s’exportent, les prix flambent, l’art aborigène a ses marchands, ses collectionneurs, ses expositions et ses musées.
Une autre appréhension du territoire
L’exposition londonienne commence d’ailleurs en fanfare en montrant les chefs-d’œuvre d’artistes reconnus sur la scène internationale comme Rover Thomas, Clifford Possum ou John Mawurndjul (qui a peint notamment des plafonds au sein même du Musée du quai Branly). Nul hasard cependant dans ces alternances de rythmes et de couleurs, nulle fantaisie gratuite dans ces volutes et ces méandres. Chaque peinture – et par là même chaque histoire – n’est que la fixation scrupuleuse d’épisodes mythiques transmis de génération en génération. « Ne pas peindre sa terre, c’est la laisser mourir, c’est la rendre aux ténèbres », résument en d’autres mots les Aborigènes.
Or c’est un sentiment radicalement opposé que l’on découvre au fil des nombreuses salles consacrées à l’art occidental. Sur les toiles des premiers immigrants européens du XIXe siècle (Robert Dale, John Glover), l’homme y apparaît alors comme un être fragile écrasé par la flamboyance mystique d’une nature qui le dépasse. Là où le peintre aborigène semble traduire une osmose parfaite, une empathie profonde avec le paysage, l’artiste occidental a contrario se pose en observateur extérieur, effrayé et fasciné tout à la fois. Très vite, cependant, les générations suivantes vont s’approprier le territoire pour en sublimer la grandeur et la rudesse. Des mythologies se dessinent peu à peu : le bush australien et ses incendies flamboyants, mais aussi une nature généreuse à la flore paradisiaque (Eugène Von Guerard). Fortement nourri d’influences européennes, un courant impressionniste voit aussi le jour, célébrant la modernité des villes (Tom Roberts) comme les plaisirs de la baignade sous un ciel lumineux (Charles Conder). Caillebotte et Monet ne sont pas très loin…
En découvrant des peintres pour la plupart inconnus en Europe (Frederick McCubbin et son emblématique The Pioneer, Sidney Nolan et sa série « Ned Kelly » aux accents épiques), une question taraude cependant le visiteur… En quoi tous ces artistes partagent-ils une « identité commune » ? Selon le marchand parisien Stéphane Jacob spécialisé en art aborigène et qui a longtemps séjourné en Australie, « il faut peut-être chercher la réponse du côté de cette quête identitaire forcenée, de cet attachement viscéral à une terre dont ils célèbrent par le pinceau la lumière, la couleur, l’immensité des territoires, la chaleur écrasante, la force et la douceur. » Une piste de réflexion séduisante, mais que l’accrochage londonien peine quelque peu à rendre tangible3.
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Londres - Out of Australia
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Abonnez-vous dès 1 €Jusqu’au 8 décembre, Royal Academy of Arts de Londres, galerie principale, Londres (Angleterre), , 44 20 7 300 8 000 et sur le site >www.royalacademy.org.uk. Catalogue illustré collectif, 320 pages, 27,95 £ (33 €).
Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°398 du 4 octobre 2013, avec le titre suivant : Londres - Out of Australia