Une histoire des faux à la National Gallery de Londres.
LONDRES - Un soldat mort étendu sur le sol au milieu d’un paysage obscur. Longtemps donné à Diego Vélasquez, ce grand tableau a eu une influence significative sur la peinture du XIXe siècle. Édouard Manet s’en est manifestement inspiré pour composer son Toréador mort (1864, National Gallery, Washington). Aujourd’hui retiré du catalogue de Vélasquez, ce chef-d’œuvre demeure orphelin et considéré comme ayant été exécuté sous le pinceau d’un peintre napolitain ou romain du XVIIe siècle. C’est là toute la relativité de l’histoire de l’art, discipline à mille lieux des sciences exactes, qui requiert pour sa pratique une certaine dose d’humilité, et le sujet de l’exposition dossier « À la loupe : faux, erreurs et découvertes » proposée par la National Gallery de Londres cet été.
Vrais faux, pour tromper
Si le parcours débute par l’histoire de la découverte de quelques véritables faux, le propos ne s’appesantit pas trop longuement sur ce sujet pourtant passionnant, mais ô combien douloureux pour les musées. Par exemple, Une Vierge à l’Enfant avec un ange, entrée sous le nom de Francesco Francia dans la collection de la National Gallery en 1893 grâce à la prestigieuse donation Mond – qui comprenait aussi des tableaux de Botticelli, Raphaël et Titien –, s’avère être un vrai faux, c’est-à-dire conçu pour tromper, après avoir longtemps été considérée comme un original. C’est l’apparition sur le marché d’une œuvre similaire qui avait alors semé le trouble, hypothèse confirmée plus tard par des analyses scientifiques. Un panneau ancien aurait fait l’objet d’un remploi au XIXe siècle par un peintre talentueux et très au fait des techniques picturales de la Renaissance… Ce cas illustre ainsi parfaitement la connivence indispensable dans cette quête de la vérité entre connaisseurs et scientifiques, capables de mettre au service des historiens d’art toute une palette d’instruments d’analyse.
Conçue à partir du fonds de la National Gallery et sans prêts extérieurs – ce qui aurait toutefois permis quelques heureuses confrontations –, l’exposition joue la carte de la pédagogie et saura satisfaire la curiosité du grand public. Une quinzaine de cas y sont examinés, du vrai faux déjà évoqué aux repeints postérieurs (détectés souvent par l’analyse des pigments, parfois réalisés pour répondre à de simples préoccupations réparatrices), en passant par les copies anciennes, les travaux d’ateliers ou les copies dues à l’artiste lui-même… Sans oublier les erreurs d’attribution qui ont émaillé de polémiques la vie de la vénérable institution londonienne, quand des Previtali ont été achetés à grands frais comme étant des Giorgione, ou un portrait anonyme des années 1560 comme un authentique Holbein le Jeune. L’exposition se révèle assez réjouissante. Elle n’aurait sûrement pas pu se tenir à Paris, alors que le divorce entre les scientifiques du Centre de recherche et de restauration des musées de France, à la pointe en la matière, et les responsables du Musée du Louvre est en passe d’être consommé (lire le JdA n° 327, 11 juin 2010, p. 6). Au risque de porter atteinte à de longues années d’une fructueuse collaboration.
Commissaires :
- Marjorie E. Wieseman, conservatrice des peintures hollandaises à la National Gallery
- Ashok Roy, directeur de la recherche scientifique à la National Gallery
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L’ombre du doute
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Abonnez-vous dès 1 €jusqu’au 12 septembre, The National Gallery, Trafalgar Square, Londres, www.nationalgallery.org.uk, tlj 10h-18h, le vendredi 10h-21h. Cat., éd. National Gallery, 96 p., 6,99 livres sterling, ISBN 978-1-8570-9486-2
Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°329 du 9 juillet 2010, avec le titre suivant : L’ombre du doute