PARIS
Au musée de Lausanne, les performances caméléons de l’artiste immortalisées par la photo retrouvent leur force d’origine prompte à dénoncer un système.
Paris. C’est Liu Bolin qui inaugure la première exposition de Marc Donnadieu, au Musée de l’Élysée. On n’attendait pas forcément le conservateur en chef de l’institution lausannoise sur ce terrain-là. Installé dans ses nouvelles fonctions depuis septembre 2017, l’ancien conserveur pour l’art contemporain du LaM de Villeneuve-d’Ascq explique son choix par « Les relations du Musée de l’Élysée avec la Chine et l’exposition Ai Weiwei en cours au Musée cantonal des beaux-arts. » Amorcées en 2006 par l’ancien directeur William Ewing, les relations du musée avec des institutions chinoises (musées, festivals ou espaces à vocation culturelle) se sont développées en effet au niveau des itinérances d’exposition mais surtout de productions sur place. En octobre 2015, l’entrepreneur collectionneur sino-indonésien Budi Tek, fondateur de deux musées d’art contemporain (à Shanghaï et Bali) a versé 500 000 francs suisses (442 422 €) au Musée de l’Élysée pour son installation à venir au Pôle muséal en construction près de la gare ferroviaire de Lausanne, qui accueillera aussi le MCBA (Musée cantonal des beaux-arts) et le Mudac (Musée de design et d’arts appliqués contemporains). La Fondation Yuz, elle, a fait cette année une donation de photographies de Yang Fudong.
Liu Bolin fera-t-il à son tour partie des collections ? Seule certitude, l’exposition ne voyagera pas en Chine. L’artiste partage avec Ai Weiwei la même radicalité contestataire. C’est d’ailleurs la présentation de ce dernier au MCBA qui a conduit le conservateur en chef du Musée de l’Élysée à programmer Liu Bolin, le photographe performeur, et non le dessinateur ou sculpteur. Seules deux sculptures ont d’ailleurs été retenues. Le travail à partir des archives de photographies s’est focalisé sur la production intitulée Hiding in the City (Caché dans la ville).
Les autoportraits en couleurs de l’artiste recouvert de peinture se confondant au slogan de propagande d’un mur, au décor d’un temple ou au rayon d’un supermarché, ont fait sa renommée internationale. Ces treize années de photo contestataire réalisées sur le même mode opératoire sont nées en 2005 de la destruction de son atelier dans le cadre des grands travaux engagés pour les Jeux olympiques. Le propos, son articulation par thème et les choix des pièces (prêts de la galerie Paris-Beijing) redonnent un sens à un mode opératoire jusqu’ici égaré dans les différentes campagnes réalisées par l’artiste pour Moncler, Ruinart ou de grands magazines internationaux.
Les camouflages de l’artiste dénoncent les contradictions du système et de ses conséquences sur l’environnement, la condition humaine et la place de l’individu dans la société. Marc Donnadieu choisit de dégager les poses spécifiques et renouvelées de Liu Bolin, mais aussi de raconter dans chaque cartel le contexte et l’histoire de chaque photographie. Beaucoup de textes émaillent l’exposition, mais ils sont essentiels pour contextualiser une image qui n’a rien de ludique, souvent exposée sans légende explicative.
Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°514 du 4 janvier 2019, avec le titre suivant : Liu Bolin, protestataire et silencieux