Le Musée de Grenoble retrace l’histoire de la Metafisica, mouvement artistique initié par De Chirico.
GRENOBLE - À partir des années 1910, s’inspirant de l’esprit nietzschéen, De Chirico cherche à représenter « la profonde signification du non-sens de la vie ». Dans ses tableaux, il abolit tout rapport logique entre les objets pour créer une ambiance énigmatique et inquiétante. Dans un article de L’Intransigeant, en 1913, Apollinaire qualifie alors ses œuvres de « peinture étrangement métaphysique ». L’expression fera mouche et sera bientôt reprise par les critiques et historiens pour qualifier ce mouvement né en Italie et puisant largement dans l’univers de De Chirico : la Metafisica. Le Musée de Grenoble en retrace aujourd’hui l’histoire.
Officiellement, la Metafisica voit le jour en 1916, lors de la rencontre, à Ferrare, de De Chirico avec Carlo Carrà, Filippo De Pisis et Alberto Savinio. En juin 1918 se tient la première exposition du groupe, et la même année est créée la revue d’esthétique Valori Plastici pour en diffuser les concepts. Le mouvement ne connaît qu’une brève existence – il prend fin avec l’arrêt de la revue en 1922 –, mais influence de manière significative nombre d’artistes italiens, souvent issus du Futurisme. Savamment orchestré, scindé en de petits espaces déclinant un thème ou mettant en exergue un artiste, le parcours analyse l’évolution de la peinture métaphysique, et montre comment ses protagonistes, à partir des années 1920, s’orientent vers de nouvelles voies. L’aventure démarre avec De Chirico, figure de proue du mouvement, dont sont exposées Les Deux Sœurs (1915), Intérieur métaphysique à la grande usine (1916) ou Mélancolie hermétique (1917), qui témoignent autant de sa fascination pour le passé que de ses angoisses par rapport au futur. Places désertes peuplées d’ombres improbables, architectures antiques côtoyant des cheminées d’usines, des locomotives, mais aussi des instruments de géométrie, des gâteaux ou des artichauts… Autant d’associations insolites qui perturbent notre vision du réel. « Dans ce dispositif destiné à représenter un contenu devenu incompréhensible du monde moderne surgit un sentiment d’inquiétante étrangeté », où ce qui était connu et intime devient « angoissant », « mystérieux », explique Christine Poullain, conservatrice au musée et co-commissaire de la manifestation. Absente, la figure humaine est remplacée par des statues antiques ou des mannequins. Le champ optique est frontal, la matière se fait discrète. « La peinture métaphysique est une peinture du dessin. La ligne tient toute la force du tableau », précise Guy Tosatto, directeur du musée et co-commissaire de l’exposition.
Retour à l’ordre
À l’heure du cubisme, du Futurisme ou de l’abstraction , « la Metafisica peut sembler presque classique, avec son réalisme appliqué, ses jeux de perspective, ses motifs simples, ajoute-t-il. Mais c’est là un classicisme trompeur, mis au service de compositions d’une surprenante nouveauté ». Dans des œuvres telles La Muse métaphysique (1917) ou L’Ovale des apparitions (1918), Carlo Carrà reprend à son compte les leçons de De Chirico. Il met en scène une joueuse de tennis statufiée, dont la balle permet de dépasser le « filet » du monde visible. Morandi s’essaie, lui aussi, un temps à la Metafisica, comme le montre son tableau au titre pour le moins équivoque, Nature morte métaphysique avec mannequin (1918). Filippo De Pisis offre, pour sa part, une version fantaisiste du mouvement, annonçant par certains aspects le surréalisme. Ses marines se composent souvent d’une nature morte aux coquillages et objets familiers. Quant à Mario Sironi, il élabore ses toiles, comme Paysage urbain (1921-1924) ou Périphérie industrielle (1922-1927), en reprenant les perspectives tronquées de De Chirico. Pendant les années 1920, dans un contexte économique et politique très tendu, les artistes comme Carrà, Sironi, Donghi ou Tozzi se dirigent vers la représentation d’un quotidien à l’atmosphère silencieuse et figée. Afin de redonner une signification au monde, ils se tournent vers l’héritage culturel du Quattrocento. Ils sont alors surnommés les « Novecento ». Reflétant le climat de l’époque, leurs œuvres témoignent d’un retour à l’ordre, avec des thèmes récurrents autour de la famille, du travail et de la patrie. Une période sombre pour l’Italie, marquée par une crise profonde et la montée du fascisme, qui aboutira en 1936 à l’alliance avec l’Allemagne nazie.
Jusqu’au 12 juin, Musée de Grenoble, 5, place de Lavalette, 38 000 Grenoble, tél. 04 76 63 44 44, www.museedegrenoble.fr, tlj sauf mardi, 10h-18h30. Catalogue, éditions Actes Sud, 190 p., 45 euros.
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L’inquiétante étrangeté du monde
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°212 du 1 avril 2005, avec le titre suivant : L’inquiétante étrangeté du monde