Bâle revient dans une exposition exceptionnelle sur les années de jeunesse du portraitiste d’Érasme.
BÂLE - Hans Holbein fait partie de ce petit cercle d’artistes dont les chefs-d’œuvre ont pris à travers les âges le statut de portraits officiels, comme ceux d’Henri VIII, de Jane Seymour ou d’Érasme. Conservant la plus importante collection d’œuvres du peintre au monde, le Kunstmuseum de Bâle se penche aujourd’hui sur la période bâloise (1515-1532), riche d’œuvres religieuses et de portraits. Cet automne, la Tate Britain à Londres rendra hommage aux années passées à la cour d’Henri VIII. Près d’un demi-siècle après la rétrospective du Kunstmuseum en 1960, l’année 2006 promet de montrer tout Holbein ou presque.
Hans Holbein le Jeune (Augsbourg, 1497/1498-Londres, 1543) arrive à Bâle en 1515, en compagnie de son frère Ambrosius. Tous deux ont reçu l’enseignement de leur père, le peintre Hans Holbein l’Ancien, et les commandes de l’Église et de maisons d’édition forment le principal de leur travail. Ces œuvres inaugurent le parcours de l’exposition, où le jeune prodige se distingue par la grande douceur apportée à ses compositions bibliques – la Vierge et l’enfant Jésus partagent des scènes intimes comme n’importe quelle mère et son bébé. Holbein excelle notamment dans le rendu des étoffes, déployant de lourds drapés en accord avec la pudeur protestante, ceux-là mêmes dont Michel-Ange se défaisait pour glorifier le corps et sa musculature. Car l’Europe du Nord est marquée par l’important schisme religieux qu’est la Réforme. L’iconoclasme protestant menace l’avenir du jeune peintre qui, en 1523, part tenter sa chance à Paris puis à Londres, où il réside de 1526 à 1528. De retour à Bâle, il n’y séjournera que quatre ans, avant son installation définitive en Angleterre en 1532. L’art du portrait devient l’une des rares formes picturales encore tolérées en terres protestantes, et Holbein le fait gagner en sobriété et en humilité. Autrefois chargées d’éléments architecturaux, les compositions se simplifient peu à peu pour ne plus laisser apparaître qu’un fond sombre, dont l’Érasme de Rotterdam écrivant (1523) signe l’apogée. Hans Holbein passe maître du portrait dit psychologique, où l’émotion du regard et la personnalité prévalent sur les attributs vestimentaires du personnage comme sur le décor qui l’entoure.
Tristement humain
Hormis un talent insolent, les œuvres ici présentées expriment l’ambivalence profonde du peintre vis-à-vis de la religion. Ami fidèle de l’humaniste évangélique Érasme, proche du catholique Thomas More, peintre de cour d’Henri VIII, fondateur de l’anglicanisme, Holbein n’affiche pas clairement sa foi. La grande sérénité de La Vierge et l’Enfant avec la famille du bourgmestre Meyer, dite « la Madone de Darmstadt » (1528), détonne à côté des nombreuses représentations des scènes de la Passion, où le Christ semble vivre une vive douleur, contraire à la tradition sulpicienne de l’abnégation. Christ sur la croix (1516), un simple dessin à la pointe d’argent, provoque le trouble. L’échange de regards entre Jésus, à bout de forces, et le personnage situé sur la droite – sans doute Joseph – est d’une humanité poignante. Rares sont les compositions où les yeux du Christ crucifié sont si expressifs. Sans doute Holbein aurait-il aujourd’hui été considéré comme athée, car sa vision, bien que non dénué de compassion, désacralise le sujet. Célébré, commenté, Le Christ mort (1521-1522) atteint un paroxysme. À l’instar du Caravage qui choisissait ses modèles parmi les prostituées, Holbein s’est inspiré de la tête du cadavre d’un homme noyé depuis plusieurs jours. Devant ce corps amaigri et allongé sur deux mètres, ces extrémités pourrissantes, et ce visage au teint verdâtre, la réalité d’une résurrection dans les trois jours est difficile à croire. Outre l’enfermement claustrophobe, le peintre insiste sur un simple détail qui relie le Christ à sa profonde humanité : un nombril saillant, le rattachant à sa mère, une vierge et une sainte certes, mais aussi une femme. « Ce tableau peut faire perdre la foi », disait Dostoïevski. Était-ce la volonté d’Holbein ?
- Commissaires : Christian Müller, directeur du département des arts graphiques au Kunstmuseum Basel - Nombre d’œuvres : 182 (dont 40 peintures environ. Prêts des musées d’Augsbourg, Berlin, Brunswick, Leipzig, Lille, Londres, Munich, Paris et du château de Windsor) - Nombre de salles : 11 - Mécènes : Crédit suisse et Novartis
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L’humanité selon Holbein
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Abonnez-vous dès 1 €Jusqu’au 2 juillet, Kunstmuseum Basel, Strasse Alban-Graben 16, Bâle, Suisse, tél. 41 61 206 6262, tlj sauf lundi 10h-17h, 10h-20h le mercredi, www.kunstmuseumbasel.ch. Catalogue en allemand ou en anglais, éd. Prestel Verlag, Munich, 528 p., 236 ill. couleurs, 167 ill. n & b, ISBN 978-3-7913-6052-2 (allemand), ISBN 978-3-7913-6051-5 (anglais), env. 50 euros.
Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°235 du 14 avril 2006, avec le titre suivant : L’humanité selon Holbein