« L’homme gris est l’homme double, beau comme Lucifer, abominable comme Satan. » Cette dualité, ambivalente, est le fil rouge de cette passionnante exposition.
Il s’agit, pour Benjamin Bianciotto, commissaire invité et auteur d’une thèse sur le sujet, d’interroger la figure du diable au-delà de ses représentations archétypales. À rebours d’une opposition manichéenne entre Bien et Mal, le diable, désormais débarrassé de ses attributs canoniques, revêt de multiples formes, plus insidieuses. La force de cette exposition réside dans son indéniable richesse théorique subtilement déployée dans un parcours pensé comme une alternance entre espaces de contrainte et de liberté. Se tisse alors un dialogue fécond et captivant entre des œuvres extrêmement diverses d’une vingtaine d’artistes contemporains (Jérôme Zonder, David Tibet, Élodie Lesourd…). Si lePiss Satan d’Andres Serrano – qui n’a évidemment pas l’aura scandaleuse de son pendant christique – ou les dessins de Jan Fabre abordent la figure du diable plutôt frontalement, le maléfique se manifeste de manière plus symbolique dans les peintures d’Iris Van Dongen, et plus introspective dans les poupées de Gisèle Vienne. Les œuvres de Darja Bajagić et Christine Borland, malmenant nos représentations collectives, abolissent quant à elles l’opposition entre Bien et Mal. Ainsi la première montre-t-elle que, derrière le visage angélique d’une adolescente, peut se cacher une meurtrière de sang-froid, tandis que la seconde rappelle que, malgré son incontestable monstruosité, Joseph Mengele était un homme séduisant. Par-delà les binarismes primaires, la part diabolique de l’être humain devient indéniable, et l’intériorisation du mal conduit même à l’autodestruction. En témoignent les sculptures imprégnées de magie noire de Bianca Bondi évoquant les catastrophes écologiques, ou encore une vidéo d’Alex Bag dénonçant avec ironie les dérives capitalistes. En abordant une thématique complexe et en faisant de l’ambivalence une composante essentielle de l’être humain, cette remarquable exposition nous invite à une perpétuelle remise en question de nos certitudes.
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L’homme gris : le visage contemporain du diable
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans L'ŒIL n°742 du 1 mars 2021, avec le titre suivant : L’homme gris : le visage contemporain du diable