Les artistes se nourrissent toujours des travaux des maîtres antérieurs. Le Louvre l’avait prouvé en 1993 avec l’exposition « Copier Créer ». La National Gallery de Londres va plus loin en s’interrogeant sur les résonances actuelles de sa collection historique. Elle a commandé à vingt-quatre artistes britanniques et étrangers des œuvres inspirées d’une peinture de sa collection. De la peinture à la photographie, en passant par la vidéo, un dialogue passionnant se noue.
LONDRES - Au moment où les visiteurs affluent vers la Tate Modern, la National Gallery n’a pas voulu être à l’écart du mouvement. Elle qui “invite” déjà chaque année un artiste vivant, ou installe des œuvres contemporaines sur Trafalgar Square , elle a pris une initiative ambitieuse et à risque : commander des œuvres contemporaines à partir de sa collection, qui s’arrête vers 1900. Chacun des vingt-quatre artistes a choisi un tableau différent, deux seulement ont élu le même maître : Turner, adopté par Louise Bourgeois et Cy Twombly. La seule vision de la sculpture de la première et des huiles du second prouve combien les effets de la lumière chers à Turner peuvent inspirer différemment. Les associations retenues (lire notre encadré) peuvent susciter de nombreuses réflexions, et le catalogue apporte judicieusement des éléments de réponse puisqu’il offre pour chaque artiste des explications de son choix. Il laisse en revanche en suspens la question des grands absents, comme Caravage, Degas, ou Cézanne qui n’ont pas eu les faveurs des contemporains. “Encounters” veut amener les visiteurs à voir ou revoir la collection avec un autre regard. Pour cette raison, à quelques rares exceptions, les œuvres passées n’ont pas été accrochées à côté des inspirées mais laissées à leur place dans le parcours habituel. À l’inverse, un panneau placé devant les Poussin, Ingres ou Turner retenus invite les visiteurs à découvrir les créations à partir de…
Au cœur de l’œuvre
La grande majorité des artistes a évité le “à la manière de”, une lecture seulement formelle, pour aller au cœur de l’œuvre et s’interroger sur son sens. Pour le Quintet des Étonnés, Bill Viola a ainsi travaillé à partir du Christ aux outrages de Bosch. Il n’a pas habillé cette scène de la Passion – l’humiliation du roi des Juifs – d’habits modernes. Il s’est intéressé à ce groupe de cinq personnes, cadré très serré, où chacun manifeste une attitude très différente à l’égard de Jésus, où aucun regard ne se croise. Le visiteur est d’abord dérouté. Sur l’écran devant lui, rien ne se passe, l’image semble immobile, aucun son n’émerge. Puis peu à peu, très lentement, une femme bouge un bras, un homme ouvre un œil. Progressivement, des émotions se lisent sur les visages, toutes personnelles, le groupe apparent se dissout dans des destins individuels. Anthony Caro a repris le décor de l’Annonciation de Duccio, mais l’archange Gabriel et la Vierge ont disparu. Aujourd’hui, le monde les attend. Stephen Cox a bâti une caverne minimale, un tombeau en marbre et porphyre, qui répond à la simplicité de la Nativité de Piero della Francesca. Lucian Freud imagine l’évolution des relations entre la jeune maîtresse d’école peinte par Chardin et son élève ; Paula Rego, la suite que pourrait donner les mariages arrangés au temps de Hogarth. Jeff Wall a substitué au fier étalon de Stubbs un âne qui fait pitié, Donkey in Blackpool ; il s’adresse non à l’aristocratie mais au commun des mortels. David Hockney se métamorphose en un Ingres d’aujourd’hui qui prend les gardiens de la National Gallery en uniforme pour sujets. Ronald Kitaj assoit un milliardaire outrancié, cigare au bec, sur la chaise de Vincent, et signe Ronald. La sélection n’a pas fait appel à la nouvelle génération. “Elle n’est pas anti-jeunes, se défend le commissaire Richard Morphet, mais une décision prise sciemment a conduit à une génération d’artistes beaucoup plus mûre, montrant plus de signes d’un dialogue continu avec un l’art ancien.” Selon lui, quelques artistes plus jeunes ont été contactés, mais ont refusé l’invitation. De même, hormis Balthus, elle n’accueille aucun artiste français. “Pour cette première expérience, nous avons préféré travailler avec des artistes proches de la collection, explique Neil MacGregor, directeur de la National Gallery, nous ouvrons un chantier et espérons que d’autres grands musées européens vont suivre.”
- Encounters : New art from old, jusqu’au 17 septembre, National Gallery, Trafalgar Square, Londres, tlj sauf certains jours fériés 10h-18h, mercredi 10h-22h, tel. 44 171 747 2885, http://www.nationalgallery.org.uk. Catalogue, 336 p., £ 25.
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L’hommage des vivants
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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°108 du 30 juin 2000, avec le titre suivant : L’hommage des vivants