GENEVE / SUISSE
Le Musée d’ethnographie de Genève invite à une découverte passionnante et édifiante des pratiques religieuses africaines à travers objets divinatoires et art vidéo.
Genève. Crises, convulsions, corps qui tremblent, yeux révulsés, spasmes. La transe, une forme d’extase religieuse souvent accompagnée de chants et de rythmes de tambours, occupe une place centrale dans les cultes de possession. Spectaculaire, la nouvelle grande exposition annuelle du Musée d’ethnographie de Genève invite à découvrir un domaine culturel méconnu : les religions africaines. Celles-ci sont étudiées sous l’angle de l’extase religieuse, communion intense avec les forces divines qui conduit les adeptes à être transportés hors d’eux-mêmes, hors du monde réel.
Boris Wastiau, le commissaire de cette exposition qui est aussi le directeur du MEG depuis 2009, est un spécialiste des religions de l’Afrique centrale, du Congo, de l’Angola et de la Zambie. Le parcours qu’il a conçu propose de « réfléchir aux aspects subjectifs de l’expérience religieuse dans ce qu’elle a d’incarné, individuellement ou collectivement, aux sentiments et émotions qu’elle procure ». Ce, en s’appuyant sur 300 pièces rarement montrées (amulettes de protection, coupes et pochettes d’objets divinatoires, poteaux anthropomorphes…) issues des collections du MEG, un ensemble enrichi de 200 photos et près de 30 vidéos (guérisseurs, devins, pratiquants du vaudou). S’ajoutent cinq installations vidéo commandées à Theo Eshetu, un artiste cosmopolite qui a grandi à Addis-Abeba (Éthiopie) et dont le travail est centré sur les notions de perception sensorielle, d’identité et de sacré.
La scénographie, due à Franck Houndégla et Sophie Schenck, est très réussie. Le visiteur évolue dans un grand espace ouvert, sans cloisonnement, au cœur duquel trône un rocher élevé qui abrite des vitrines renfermant des objets et masques et une coupole suspendue. Il peut ainsi déambuler librement dans une ambiance lumineuse et acoustique qui sert agréablement le propos.
L’exposition est scindée en quatre grandes sections. La première est centrée sur les monothéismes. Suivent les fondamentaux des religions africaines autochtones : en effet, avant la conversion aux monothéismes, venus du Nord, l’Afrique était constituée de plusieurs milliers de sociétés traditionnelles dotées, chacune, de leur système religieux. La troisième section s’intéresse aux cultes de possession, tandis que la quatrième analyse la complexité des systèmes magico-religieux africains.
Poulets, chèvres, bœufs ou chiens immolés sur des autels dans lesquels résident des esprits : le sacrifice tient une place de choix dans la liturgie courante des religions autochtones. Ces sacrifices visaient à nourrir les âmes des ancêtres, divinités ou esprits mais aussi à renverser les forces du mal, du malheur et de la maladie pour leur substituer le bien, le bonheur et la santé. Une vidéo de Theo Eshetu, réalisée durant les fêtes de l’Aïd al-Adha (la fête du sacrifice), insiste, en s’appuyant sur des images et motifs kaléidoscopiques, sur l’aspect spirituel de ces manifestations.
La partie consacrée aux transes de possession est la plus étonnante. En Afrique centrale, par exemple, pour guérir de maladies ou malheurs dus à l’influence d’esprits Mahamba qui possèdent leurs victimes, des cures sont mises en place. Celles-ci reposent sur des danses au son des tambours, sur des ablutions et des prescriptions de plantes médicinales qui permettent de révéler la présence des esprits dans le corps des patients. Afin de les guérir totalement, ceux-ci sont finalement lavés dans la rivière ou dans un lac où ils sont plongés avec leurs vêtements et tous les autels et dispositifs destinés à les protéger.
« Ces pratiques religieuses africaines, très diverses et dynamiques, constituent un terreau exceptionnel de créativité mais aussi des moteurs d’adaptation aux changements qui affectent la vie des individus », conclut Boris Wastiau.
Jusqu’au 6 janvier 2019, Musée d'ethnographie de Genève (MEG), boulevard Carl-Vogt 65-76, Genève, Suisse
Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°505 du 6 juillet 2018, avec le titre suivant : L’extase dans les rites africains