La Kunsthaus de Zurich retrace la genèse de ce mouvement en Allemagne, valorisant sa dette envers la modernité française et oubliant la position éthique des membres de Die Brücke.
ZURICH - Politiquement, l’exposition tombe à pic. Au moment où les frontières suisses deviennent peu poreuses, « De Matisse au Blaue Reiter » est une belle démonstration de la circulation des idées et des images en Europe, et plus particulièrement entre la France et l’Allemagne avant la Grande Guerre. Non pas que les relations entre ces voisins des deux côtés du Rhin fussent idylliques. Pour preuve, les querelles stériles sur la primauté de chacune de ces tendances artistiques, les fauves et les expressionnistes, dans l’invention de la modernité, n’ont jamais cessé.
Le musée zurichois a clairement choisi son camp : l’avant-garde est née dans le pays de Molière et va se propager en Allemagne. Ses apôtres, sans être tous français, étaient concentrés soit à Paris, soit dans le Midi. Ils ont pour nom Paul Signac, Henri-Edmond Cross ou Maximilien Luce (néo-impressionnistes), Gauguin (symboliste), Cézanne et surtout Van Gogh et Matisse. Ainsi, le spectateur a droit à une mini-rétrospective des différents mouvements qui se succèdent en France jusqu’en 1914.
Et l’Allemagne dans tout ça ? Selon les commissaires, aucun de ses artistes ne mériterait d’accéder au panthéon de la modernité avant l’apparition de Die Brücke à Dresde (1905), ce groupe pionnier de l’expressionnisme. Sans doute, et l’exposition insiste sur ce point, l’influence de Van Gogh fut capitale pour ces quatre jeunes étudiants en architecture, autodidactes dans le domaine de la peinture et qui relevèrent le pari de travailler ensemble, dans le même atelier. Sans doute encore, les artistes français se sont libérés de l’académisme sclérosant du XIXe siècle plus tôt que leurs confrères allemands. Mais est-ce une raison suffisante pour faire abstraction d’Edvard Munch, déjà connu en Allemagne ?
La rupture Die Brücke
Plus important, il aurait fallu souligner davantage que les participants de Die Brücke, à la différence des fauves, voient dans leur union à la fois un geste artistique et une attitude d’ordre social. Dans leur manifeste (1906), ils proclament leur refus de l’art et de l’enseignement académique, mais aussi celui de l’ordre bourgeois tout court. La démarche esthétique est ici intimement mêlée à une protestation sociale. Pour ces quatre révoltés réunis en collectif, la notion d’avant-garde reprend son sens militaire. C’est pour ces raisons qu’il fallait montrer la peinture dans une Allemagne wilhelmienne où, étouffée sous des structures rigides et une stricte censure, la vie artistique réagit par sursauts et secousses. Ce n’est pas un hasard si le mot « sécession », qui signifie le désir de rupture, est adopté par une série de groupes artistiques de langue allemande au tournant du siècle.
La comparaison proposée permet de constater que les fauves, comme les expressionnistes, prennent des libertés avec la réalité, et la déforment, mais aussi qu’ils usent de couleurs arbitraires et dissonantes. Quelques œuvres splendides (en particulier un tableau de Kirchner, Dodo à table, 1909) nous en convainquent. Il est toutefois regrettable que l’accrochage n’insiste pas sur la distinction thématique entre ces deux groupes. Pour les fauves, engagés dans une démarche formelle, le sujet semble avant tout être un prétexte à des recherches picturales. Les membres de Die Brücke visent l’homme dans le processus de détérioration de ses rapports avec le monde extérieur. En revanche, l’exposition met en évidence les gravures et les nombreux documents qui accompagnent les artistes allemands, permettant ainsi de mieux comprendre leurs circuits (marchands, critiques). Le parcours se poursuit avec un groupe véritablement international : le Blaue Reiter. Sous l’impulsion de Vassili Kandinsky et Franz Marc, on assiste au rassemblement de toutes les personnalités de l’avant-garde européenne. Les belles toiles de Kandinsky et Jawlensky, Marc ou Macke permettent de saisir toute l’importance de ce groupe phare, un des lieux de passage vers l’abstraction.
Enfin le cubisme ne laisse indifférent aucun mouvement de la modernité. Si la présence dans cette section de Robert Delaunay ou Marc se justifie pleinement, on reste perplexe face à une œuvre de Vlaminck (Maison et arbres, 1908). Perplexité qui s’applique à l’ensemble de cette exposition qui, malgré la présence d’œuvres parfois remarquables, laisse un goût d’inachevé.
Commissaire : Cathérine Hug, curatrice à la Kunsthaus
Nombre d’artistes : 37
Nombre d’œuvres : 107
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L’expressionnisme, de Paris à Berlin
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www.kunsthaus.ch
tlj sauf lundi et mardi, mercredi-jeudi 10h-20h, vendredi-dimanche 10h-18h.
Légende photo
Ernst Ludwig Kirchner, Dodo à table, 1909, huile sur toile, 120,5 x 90 cm, Kirchner Museum, Davos. © Kirchner Museum, Davos, Rosemarie Ketterer Stiftung.
Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°411 du 11 avril 2014, avec le titre suivant : L’expressionnisme, de Paris à Berlin