Exemplaire et courageuse, « Joseph Cornell et les surréalistes » au Musée des beaux-arts de Lyon rappelle tout le travail réalisé en amont d’un tel événement. Coulisses d’une exposition.
Découverte ou confirmation ? Tout dépend, comme souvent, d’où l’on se place. En l’occurrence, pour Joseph Cornell, de quel côté de l’Atlantique on se situe. Aux États-Unis, « c’est une icône présente dans les plus grands musées américains, à New York, Philadelphie, Washington, Chicago… », note Matthew Affron, conservateur du Philadelphia Museum of Art, cocommissaire de l’exposition du Musée des beaux-arts de Lyon. Tandis qu’ici, en France, « l’artiste n’est connu que des spécialistes », remarque Sylvie Ramond, la directrice du musée à qui revient l’initiative de cet événement. Né en 1903, décédé en 1972, Joseph Cornell s’est illustré dans l’histoire de l’art pour ses « boîtes » dans lesquelles s’opèrent des « rencontres fortuites » que n’aurait pas désavouées Lautréamont : photos, verres, reproductions d’œuvres, sable, boussoles… composent des petits théâtres du quotidien pleins d’humour et de poésie. De malice aussi. Un portrait réalisé par Lee Miller en 1932-1933 montre l’artiste en voyageur de l’imaginaire, photographié de profil derrière une maquette de bateau, une « lampe » à l’oreille…
Comment la France a-t-elle donc pu passer à côté de cette « icône » de l’art américain, dont l’intérêt, en revanche, pour la France – pour Verlaine, Breton et l’hôtellerie, comme le montre Anne Théry dans le catalogue –, était inversement proportionnel ? Sans doute au fait qu’il n’a jamais fait le voyage, occupé à New York auprès d’un frère handicapé. Cela explique en partie que « l’Europe et particulièrement la France soient quelque peu à la traîne, relève Sylvie Ramond. La seule exposition présentée en métropole avait de fait été conçue par les Américains, par le MoMA, et avait trouvé au Musée d’art moderne de la Ville de Paris un de ses lieux d’itinérance. » C’était en… 1981. Il y a bien eu quelques rares acquisitions réalisées par des musées éclairés (au MNAM, à Grenoble, Marseille, Nice ou Strasbourg), mais pas suffisamment pour se familiariser avec le travail de Cornell. Pour cela, il fallait aller dans les galeries, chez Virginia Zabriskie, Karsten Greve ou à la Galerie 1900-2000. Même l’édition n’a pas su valoriser l’œuvre du surréaliste américain : « Le catalogue de l’exposition que j’ai conçu avec Matthew Affron [aux éditions Hazan] est le premier ouvrage publié en français sur l’artiste faisant la synthèse sur les connaissances et cherchant à renouveler les approches sur son travail », admet Sylvie Ramond. Il était décidément temps d’exposer et de publier Cornell de ce côté-ci de l’océan.
De la patience et de l’énergie
D’aucuns regretteront alors que l’exposition ne soit ni rétrospective ni monographique. « Ce choix ne visait évidemment pas à compenser la difficulté à obtenir les prêts. Il est tout aussi difficile de négocier des œuvres de Max Ernst, Duchamp, Magritte, Dalí ou Man Ray. C’est un parti pris qui nous a permis de concevoir une exposition plus originale que les rétrospectives monographiques récentes sur Cornell et, surtout, de montrer quelle position Cornell occupe dans la constellation surréaliste et new-yorkaise des années 1930-1950. » Tout en évitant d’isoler Cornell parmi les « singuliers » de l’art, ce qu’il n’était pas. Voilà donc pourquoi « Joseph Cornell et les surréalistes à New York » présente ses boîtes et ses collages au milieu d’œuvres de ses contemporains, grands (Ernst, Dalí, Duchamp, Man Ray donc, mais aussi Chirico et Leonor Fini) et moins grands (Mina Loy ou Pierre Roy). Le résultat fonctionne admirablement.
Pour autant, la préparation de l’exposition ne fut pas un long fleuve tranquille : « Elle représente six années de travail, explique Sylvie Ramond. Comme à chaque fois, j’ai pu constituer une petite équipe de recherche ; nous avons dialogué avec les collectionneurs, les témoins et les meilleurs spécialistes de l’artiste. Dans mon cas, j’ai effectué plus de dix voyages aux États-Unis et bénéficié d’une bourse de recherche de la Terra Foundation qui m’a permis d’aller travailler à Washington, au Center for Advanced Study in the Visual Arts, et au Smithsonian Institute, où sont conservées les archives Cornell. Matthew Affron a lui aussi bénéficié d’une résidence au Clark Institute. Pour apporter quelque chose de neuf, il faut se donner tout ce temps. » Du temps certes, mais aussi de la pugnacité et de l’argent : « Forcément, l’exposition représente un budget très conséquent, avec un poste très important pour le transport et les assurances. Mais cela tient à une volonté politique : Lyon a un rang éminent à tenir. Nous ne cherchons pas à être simplement le plus grand musée hors de Paris, mais à être un musée de plus en plus reconnu sur la scène internationale. »
Une exposition comme celle-ci le permet, car il faut convaincre les grands musées étrangers et les collectionneurs privés – ces derniers « furent souvent les premiers à comprendre l’originalité du projet, et donc les plus généreux », précise la directrice – de prêter, quand ils ne savaient pas toujours situer Lyon sur la carte du monde auparavant. D’autant plus que la fragilité des boîtes de Cornell rendait d’emblée le projet difficile à monter. « Un peu de diplomatie, de la patience et beaucoup d’énergie furent nécessaires, reconnaît Sylvie Ramond. Là encore, mes réseaux américains et ceux de Matthew nous ont permis d’avancer et de constituer notre sélection. La Ville de Lyon a d’emblée compris l’importance du projet, qui prolonge l’exposition “Repartir à zéro”, présentée en 2008 et qui montrait les allers-retours entre la scène américaine et la scène européenne entre 1945 et 1949. Des mécènes ont permis au projet d’être aussi ambitieux que nous le voulions : la Terra Foundation et l’Annenberg Foundation. Des mécènes de la région lyonnaise ont également été généreux : SIER constructeur, le Cabinet Bonnet… Nous avons bénéficié également du soutien de Frame (French Regional American Museum Exchange). » Autant d’acteurs et de labeur qui ne se sentent pas durant le parcours de cette exposition. Signe de sa très grande réussite.
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L’exposition Cornell ? C’est six ans de travail !
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Abonnez-vous dès 1 €jusqu’au 10 février 2014. Musée des beaux-arts de Lyon. Ouvert tous les jours sauf le mardi, de 10 h à 18 h, le vendredi à partir de 10 h 30. Tarifs : 9 et 6 €.
Commissaires : Sylvie Ramond et Matthew Affron. www.mba-lyon.fr« Joseph Cornell et les surréalistes à New York : DalÁ, Duchamp, Ernst, Man Ray… »,
jusqu’au 10 février 2014. Musée des beaux-arts de Lyon. Ouvert tous les jours sauf le mardi, de 10 h à 18 h, le vendredi à partir de 10 h 30. Tarifs : 9 et 6 €.
Commissaires : Sylvie Ramond et Matthew Affron. www.mba-lyon.fr
Cet article a été publié dans L'ŒIL n°663 du 1 décembre 2013, avec le titre suivant : L’exposition Cornell ? C’est six ans de travail !