Lévêque campe à Rodez

RODEZ - Il n’est pas facile de décrire une œuvre de Claude Lévêque. Il est de ces créateurs qui réalisent des installations, des formes qui abolissent les frontières entre l’œuvre et l’espace environnant, des mises en scène qui ne se réduisent pas au face-à-face visuel traditionnel mais visent à produire une expérience sensorielle liée aux déplacements du spectateur. C’est pour cette raison qu’une visite au Musée Soulages à Rodez (Aveyron) s’impose pour ressentir l’émotion que l’artiste cherche à faire partager.

On pénètre dans une salle consacrée aux expositions temporaires, plongée dans une semi-obscurité. L’espace, modifié par Lévêque, se transforme en un prisme triangulaire qui se rétrécit progressivement pour s’achever sur un angle pointu. Les parois noires, dont la partie haute est découpée et forme un contour escarpé, irrégulier, évoquent une chaîne de montagnes. Un paysage étrange, un canyon profond, éclairé par une lumière orange, comme un lever de soleil à l’horizon. Un paysage artificiel toutefois, car la nature ici est réduite au lieu commun, au cliché. On pense aux images d’un western ou encore à la publicité de Marlboro, avec le cavalier solitaire.

Et pourtant, malgré cette simplification extrême, le savoir-faire de Lévêque consiste à trouver cet équilibre ténu caractérisant son travail : entre kitsch et féerique. L’artiste, qui a nommé son œuvre Le Bleu de l’œil, connaît peut-être ce passage du livre de W. R. Burnett, Terreur Apache (1) : « De bleu, le monde devint gris perle, puis couleur lavande ; enfin, un rai de lumière jaune citron apparut à l’est […] le ciel se teintait d’or et de rose, et de minces traînées de nuages rouges flottaient sur les montagnes. » Telle est la magie de la littérature comme de l’art.

Arbre frappé par la foudre
Plus modeste est Châtiment, la sculpture présentée au Musée Fenaille, à Rodez toujours, qui abrite une collection d’œuvres du Moyen Âge, mais aussi de spectaculaires sculptures-menhirs. Modeste mais fulgurante. Littéralement, car l’œuvre placée dans une petite cour intérieure est faite d’un fragment d’arbre pétrifié, frappé par la foudre, trouvé par l’artiste au bord de la Loire, dans son « pays », la Nièvre. Un éclair en néon rouge s’enroule autour du tronc. Assemblage ou symbiose étonnante entre un composant organique desséché et un autre, technologique, dont la forme serpentine sied à cette cohabitation.

Moins convaincants sont les deux écriteaux sur la devanture d’un magasin abandonné momentanément au cœur de la ville : Le Mur aveugle et Le Long couloir. Même si l’on comprend le désir de l’artiste de s’exprimer de cette manière, on peut regretter l’usage exclusif du langage qui fait l’impasse sur l’invention plastique. Surtout pour quelqu’un qui, comme Lévêque, est capable de métamorphoser la matière et l’espace en pure poésie.