« Le sculpteur est un ordonnateur, il anime les formes et leur conserve le parfum enivrant de la forêt.
» Suivant cet aphorisme poétique signé Ossip Zadkine (1890-1967), les commissaires Noëlle Chabert et Jeanne Brun, avec l’exposition « Le rêveur de la forêt », titre autobiographique renvoyant au sculpteur biélorusse fort attaché au monde sylvestre, proposent aux visiteurs un dialogue fécond entre les sculptures organiques de Zadkine et une sélection d’œuvres visuelles et sonores d’artistes modernes et contemporains animés, eux aussi, par les mystères de la forêt. Réunissant une centaine de pièces d’une quarantaine de plasticiens, du symbolisme à nos jours (Gauguin, Rodin, Ernst, Picasso, Dubuffet, Beuys, Penck, Penone, Prouvost, Pérez, Jospin…), le parcours, qui offre trois sentiers réflexifs (« La lisière », « Genèse », « Bois sacré, bois dormant »), décloisonne les points de vue sur la forêt, perçue ici moins comme un lieu obscur menaçant, dont l’entendement humain selon Descartes et Buffon doit absolument s’échapper, que comme un espace de liberté nous tenant à distance d’un « monde civilisé » asphyxié par une rationalisation et une industrialisation à marche forcée. Dans le contexte actuel, marqué par des préoccupations environnementales et écologiques majeures, cette manifestation anthropologique et artistique, puisant dans des sources multiples (poésie, philosophie, sciences), est d’utilité publique, car elle nous alerte avec infiniment de délicatesse, via le cheminement de créateurs visionnaires, du danger qu’il y a à couper les ponts entre l’homme et la nature. Bref, afin de se retrouver et de se régénérer, ensauvageons-nous, semble-t-elle nous dire !
Cet article a été publié dans L'ŒIL n°730 du 1 janvier 2020, avec le titre suivant : L’esprit de la forêt