Société

CIVILISATION

Les zombis et le vaudou haïtien au-delà des clichés

Par Olympe Lemut · Le Journal des Arts

Le 5 novembre 2024 - 926 mots

PARIS

Le quai Branly a un parti pris volontairement scientifique pour décrire ces pratiques.

Reconstitution d'une salle de cérémonie vaudou visible dans l'exposition Zombis, la mort n’est pas une fin ? © Musée du quai Branly - Jacques Chirac / Léo Desfontaines
Reconstitution d'une salle de cérémonie vaudou visible dans l'exposition « Zombis, la mort n’est pas une fin ? ».
© Musée du quai Branly - Jacques Chirac / Léo Desfontaines

Paris. Nul mort-vivant assoiffé de sang dans cette exposition sur les zombis, car les commissaires privilégient « l’authenticité » dans leur discours sur le vaudou : Philippe Charlier, anthropologue et médecin légiste, explique ainsi le choix d’orthographier « zombis » et non « zombies ». Le premier terme est celui employé en créole haïtien, et le second correspond au mot américain apparu au début du XXe siècle dans la culture populaire (bandes dessinées puis films). De même, les commissaires ont choisi de présenter au début du parcours une salle de cérémonie vaudoue reconstituée (voir ill.). Potomitan (poteau central qui sert à communiquer avec les divinités), vévés (symboles rituels tracés au sol) et objets divers ont chacun une fonction précise qu’expliquent les cartels. Cette salle se regarde de l’extérieur, le visiteur n’est pas invité à jouer le rôle d’un pratiquant du culte vaudou. Le vaudou est considéré comme une religion en Haïti, donc l’exposition développe un propos pédagogique qui se base sur l’anthropologie, sans effets de manche. Philippe Charlier précise avoir voulu éviter « une ambiance immersive », d’où l’absence de supports audiovisuels dans le parcours en dehors d’une bande-son musicale assez discrète : seule la fin du parcours présente des extraits de films du XXe siècle sur les zombies, dans une salle à part.

La sobriété de la scénographie n’empêche nullement de comprendre la complexité du phénomène des zombis au sein du vaudou haïtien, avec ses composantes sociales et psychologiques. Car le zombi est un être marginalisé qui a subi la « zombification » suite à un rituel codifié (il a perdu son âme et obéit à un bokor), mais au sein d’une pratique acceptée socialement : si les cérémonies ne sont accessibles qu’aux initiés, le vaudou en lui-même n’est pas secret. Le co-commissaire Erol Josué, directeur du Bureau national d’ethnologie de Port-au-Prince, se présente également comme « prêtre vaudou » : c’est lui qui a tracé les symboles rituels sur le sol de la salle de cérémonie. Et parmi les costumes exposés se trouve une robe blanche utilisée dans les cérémonies vaudoues qui a appartenu à la mère d’Erol Josué. Interrogés sur l’ambiguïté d’exposer dans un musée des vêtements ou objets chargés de spiritualité, les commissaires répondent que ces objets ont été désacralisés ou qu’ils ne sont plus en usage.

Personnage bizango, Haïti, XXe siècle, tissu rembourré, os (crâne humain), bois, miroirs, métal. © Musée du quai Branly - Jacques Chirac / Pauline Guyon
Personnage bizango, Haïti, XXe siècle, tissu rembourré, os (crâne humain), bois, miroirs, métal.
© Musée du quai Branly - Jacques Chirac / Pauline Guyon

Philippe Charlier ajoute que dans le cas de la salle de cérémonie reconstituée celle-ci « n’a pas été consacrée puisque l’exposition se tient dans un musée donc un bâtiment laïc ». Les commissaires jouent donc une partition délicate entre authenticité, anthropologie et pédagogie. Dans la salle reconstituée du tribunal de la société secrète bizango (système de justice parallèle), des figurines rouge et noire à taille humaine (voir ill.) trônent dans une ambiance inquiétante qui ressemble à celle des vraies cérémonies menant à la zombification. Pour autant, le discours scientifique prime sur le sensationnel, car à côté de cette salle des vitrines présentent deux poupées géantes avec des radiographies de leur intérieur : on y découvre des crânes humains (souvent ceux des initiés décédés) et des morceaux de métal. Plusieurs petites poupées servant au culte sont également exposées avec une radiographie, et les cartels présentent clairement les matériaux utilisés et leur signification dans les rites du vaudou. Le processus de zombification fait l’objet d’une présentation scientifique avec des arguments d’ordre pharmaceutique (molécule de tétrodotoxine accusée de zombifier les gens), anthropologique (enfermement de la victime dans un cercueil puis libération) et psychosocial (récits de zombis contemporains accompagnés d’archives). Quelques documents de la collection de Philippe Charlier ponctuent cette section, dont une photographie « ratée » d’un zombi dans un champ : comme les vampires, le zombi ne se laisse pas photographier, nul n’en doute en Haïti. Seule fausse note, la reconstitution d’un cimetière haïtien avec tombes blanches et objets rituels : les vitres en arrière-plan n’ont pas été occultées et le visiteur voit donc les dômes dorés de la cathédrale russe voisine…

Le début à la fin

Étrangement, les commissaires ont choisi de traiter l’origine du vaudou en fin de parcours, « un retour aux sources » selon Philippe Charlier et Erol Josué. Il y avait pourtant au tout début de l’exposition un résumé des influences culturelles du vaudou, de l’animisme importé d’Afrique par les esclaves, au catholicisme imposé à leur arrivée dans les Caraïbes (présence de la croix catholique dans l’iconographie, saints Côme et Damien). Pourquoi avoir relégué l’origine africaine en fin de parcours alors qu’elle irrigue toute l’exposition ? D’autant que cette section reste sommaire avec un passage rapide sur les routes de l’esclavage, des objets issus des collections du musée et des tenues rituelles du culte egungun du Bénin (fort belles). L’enchaînement avec la « mondialisation du zombi » et les cultures populaires occidentales casse le parcours pour revenir à un propos d’historien, alors que le reste de l’exposition est assez peu historique. Philippe Charlier s’en justifie en expliquant qu’il s’agit de« commencer par la surface du phénomène et désapprendre au visiteur ce qu’il connaît sur les zombis, avant d’y revenir avec un autre regard ». Terminer par les extraits de films de zombies permet sans doute de faire réfléchir les visiteurs sur la symbolique du zombie (l’ennemi, la part violente de l’homme), au-delà des « morts vivants » de série B. À noter que la sélection comprend une œuvre contemporaine, Zombi Child de Bertrand Bonello (2019) : ce film étrange à la beauté indéniable contraste avec l’esthétique sanguinolente des films de Romero dans les années 1970 et 1980, illustrant la diversité des interprétations du zombie. Avec cette exposition, les stéréotypes sur les zombis sont donc patiemment déconstruits pour révéler la complexité insoupçonnée du phénomène.

Zombis, la mort n’est pas une fin ?,
jusqu’au 16 février 2025, Musée du quai Branly – Jacques Chirac, 218, rue de l’Université, 75007 Paris.

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°642 du 1 novembre 2024, avec le titre suivant : Les zombis et le vaudou haïtien au-delà des clichés

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