Les voix inspirées de Lesage, Simon et Crépin

Paris. « Des pinceaux ! des pinceaux ! et je prouverai au monde que l’art spirite est le couronnement de l’art païen, de l’art chrétien qui périclite, et qu’au spiritisme seul est réservée la gloire de le faire revivre dans tout son éclat sur votre monde déshérité. » Ainsi parlait, depuis l’au-delà, une adepte du spiritisme décédée peu de temps auparavant lors d’une de ses communications avec Allan Kardec, qui la retranscrivit dans Le Ciel et l’Enfer (1865). Dès les années 1850 et les débuts du spiritisme en France, dont Léon Rivail (1804-1869) devait se faire le théoricien sous le nom d’« Allan Kardec », certains courants artistiques furent intimement liés à cette science occulte. Parmi les premiers adeptes, Victor Hugo (1802-1885) et Victorien Sardou (1831-1908) ont ainsi traduit leurs visions par le dessin, mais nombreux sont ceux qui n’avaient pas leur culture et sont devenus peintres sans en avoir reçu l’enseignement, en communiquant avec les esprits, inscrivant leur production dans l’art brut.

C’est le cas des trois artistes originaires du bassin minier du Pas-de-Calais présentés à la fin de l’année dernière par le LaM à Villeneuve-d’Ascq et aujourd’hui par le Musée Maillol à Paris. Augustin Lesage (1876-1954) était mineur de fond. Après avoir entendu en 1911 une voix lui disant qu’il deviendrait peintre, il a commencé à faire tourner les tables avec un ami puis s’est résolu à acheter le matériel que ses voix lui dictaient de choisir pour réaliser, sous leur conduite, des œuvres très élaborées. Devenu guérisseur, puis artiste reconnu, il a peint plus de 800 toiles, inspirées par le christianisme puis par l’Égypte antique, et qu’il vendait à un prix très bas (il facturait l’heure de travail au tarif horaire d’un mineur).

Lesage a désigné comme son successeur Victor Simon (1903-1976), devenu cafetier après avoir été mineur puis comptable. Lui aussi a commencé à peindre sur « ordre des esprits » et a exercé comme guérisseur. Et, à l’instar de Lesage, il a puisé son inspiration dans le christianisme avant de s’orienter vers un syncrétisme religieux. Il s’est également exprimé dans plusieurs articles et ouvrages et ne voulait pas vendre ses peintures car il ne se considérait pas comme un artiste. Enfin, Fleury-Joseph Crépin (1875-1948), serrurier, plombier puis quincaillier, était aussi guérisseur. Ce n’est qu’en 1938 qu’il a commencé à dessiner de manière automatique. En 1939, des voix lui enjoignirent d’exécuter 300 peintures : au terme de ce travail, la guerre devait s’arrêter. Et, effectivement, la dernière toile fut achevée le 7 mai 1944. Remarqué par Jean Dubuffet et André Breton, il n’obéissait pas à une inspiration religieuse mais semblait interpréter de manière inconsciente son environnement et les événements.

Les œuvres de ces trois peintres, stylistiquement apparentées, s’inscrivent dans l’art populaire lié à la spiritualité : elles rappellent les mandalas, les « rêves » des Aborigènes ou les peintures amérindiennes. Elles sont accompagnées de productions d’artistes spirites ou spiritualistes, avec une place particulière accordée aux femmes, bien représentées dans ces mouvements à la marge de l’art officiel.