La version parisienne de l’exposition "Picasso et le portrait" est quantitativement plus modeste que celle de New York. Les commissaires y ont aussi renoué le fil chronologique qui donne à cette présentation une facture classique de rétrospective.
PARIS - Le génie de Picasso est si écrasant, sa désinvolture si salvatrice, son mépris des règles si constant, qu’il est difficile de lire son œuvre avec des méthodes que lui-même pouvait moquer. Nous sommes loin du début de notre siècle quand, après avoir une fois encore détruit la peinture, Picasso inventait tout, s’appropriait l’art avec un tel désir et une telle force que les arguments académiques montraient leur vraie nature : futiles et vaines querelles d’un autre temps auxquelles un esprit vraiment vital ne prendrait jamais part. William Rubin a pourtant choisi une grille de lecture on ne peut plus académique sans ignorer les risques encourus. "Il n’est pas exclu que, après l’exposition, écrit-il dans sa préface, on ait encore plus de mal à définir ce que Picasso entendait par portrait. Cela le ferait bien rire, là-haut, lui qui se considérait comme un pourfendeur de définitions."
Le regard
En réalité, le terme portrait ne trouve sa justification que par les amours et les anecdotes de la vie de l’artiste, relatées par une abondante documentation photographique (mal) présentée dans les escaliers du Grand Palais, et désigne alors une entrée psychologique et narrative dans l’œuvre. C’est probablement la meilleure façon d’intéresser un large public et de réinvestir l’art de Picasso par sa vie, prodigue en spectaculaires accents mythiques. Mais les dangers du voyeurisme et du commérage ne sont alors jamais très éloignés, même si le caractère de ses modèles transparaît peu dans ses tableaux.
On peut voir une nouvelle preuve de la résistance de Picasso aux tentations anecdotiques à travers le rapprochement qui est fait de son Autoportrait à la palette de 1906 et du Portrait de Gertrude Stein de la même année. Si l’un et l’autre ont des allures très différentes – l’attente du peintre, la sévérité de l’écrivain –, ils répondent à la même mécanique des corps et, surtout, leurs regards sont également impénétrables, retournés en eux-mêmes. Sauf à ses débuts et jusqu’à la terrible Célestine, Picasso porte peu d’attention aux yeux, n’y cherche pas le miroir de l’âme. Ils restent évidemment un point morphologique essentiel, qui permet bien souvent de reconnaître un visage quand les métamorphoses sont poussées à l’extrême.
Dépourvues de regard, même si les yeux, surtout dans les autoportraits, sont globuleux, les têtes de Picasso demeurent plus proches du masque que du portrait. Masques de situation, masques de carnaval ou de cirque, visages d’amour ou traits nostalgiques : le peintre rhabille ses modèles comme il l’entend, leur prête un rôle pour ce tableau-là, aux conditions de la peinture elle-même et non à celles d’un vécu privé. La moins masquée de ses modèles, la plus lointaine aussi, Madame Paul Rosenberg qui pose en 1918 avec sa fille, trahit le peu d’aptitude du peintre à restituer des vies qui ne le concernent pas plastiquement.
PICASSO ET LE PORTRAIT, jusqu’au 20 janvier 1997, Galeries nationales du Grand Palais, entrée Clémenceau, tlj sauf mardi 10h-20h, le mercredi jusqu’à 22h. Catalogue sous la direction de William Rubin, contributions de A. Baldessari, P. Daix, M. FitzGerald, B. Léal, M. McCully, R. Rosenblum, H. Seckel et K. Varnedoe, coédition Museum of Modern Art, Flammarion et Réunion des musées nationaux, 495 p., 380 F broché, 595 F relié.
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Les visages de Picasso
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°30 du 1 novembre 1996, avec le titre suivant : Les visages de Picasso