Archéologie

Musée du Petit Palais

Les Taïnos ou la surprise de Christophe Colomb

Par Edith Paillat · Le Journal des Arts

Le 1 mars 1994 - 762 mots

PARIS

La découverte de l’Amérique commence par les Caraïbes. Les premiers indiens que rencontre Christophe Colomb s’appellent les Taïnos. Cinq siècles plus tard, l’art taïno est exposé au Musée du Petit Palais. Plus de 80 sculptures, réunies par l’expert, Jacques Kerchache, sont présentées comme des chefs-d’œuvre rares et uniques. Découverte d’une civilisation disparue et méconnue.

Un véritable choc culturel naît de la rencontre entre l’Europe et le Nouveau Monde : les indigènes surpris par les Espagnols étaient-ils des hommes dignes d’appartenir à une humanité très chrétienne ? Christophe Colomb les décrit pourtant comme "des gens de cœur excellent, ignorant la timidité, pleins de douceur". Mais, une décennie plus tard, les Taïnos disparaissaient, décimés par les maladies ou par le travail forcé dans les mines. Ces "bons sauvages" sont ignorés par la suite des études sur l’art précolombien parce que moins "spectaculaires" que leurs voisins du continent américain. Ils n’avaient laissé ni architecture de pierre, ni statuettes en or. On a oublié qu’ils appartenaient au monde précolombien.

En revanche, des termes taïnos sont restés dans notre vocabulaire. On leur doit hamac, canoë, papaye, goyave, etc. Originaires du Venezuela, ces amérindiens occupaient, à l’arrivée des Espagnols, une grande partie des îles des Grandes Antilles (Puerto Rico, Iles de Saint Domingue – ex-Hispaniola –, Est de Cuba et Jamaïque). Vivant dans d’importants villages que contrôlaient les chefs (caciques), les indiens taïnos accordaient une grande importance aux cérémonies, danses, fêtes ou jeux rituels.

Volontairement limitée à 85 objets, la sélection du Petit-Palais montre des sculptures religieuses, céramique-effigies, ornements de prestige et ceintures de pierre. Venus du Metropolitan Museum of Art de New York, du Musée d’histoire naturelle de Washington, du British Museum, du Musée de l’université de Puerto Rico… , ils sont réunis pour la première fois à Paris, tel un florilège de l’art taïno.

Les sculptures, dans leur majorité, représentent des esprits protecteurs (zemi) ou des esprits d’ancêtres. Réalisées en bois, pierre ou coton, elles montrent l’habileté technique et la diversité stylistique des artistes taïnos. Le très expressif zemi-reliquaire du Musée de Turin, en coton tissé, renferme le crâne déformé d’un cacique. Des représentations anthropomorphes s’animent à travers les vases-sculptures en terre cuite. Les dignitaires assis, en état de transe, figurés tels des vieillards courbés au dos décharné, surprennent par leur réalisme. D’étranges visages, aux mâchoires béantes et aux yeux creux parfois incrustés d’or, sont sculptés sur les sièges en bois des chefs. Au contraire, certaines petites pierres dites à trois pointes, liées aux rites de fertilité et de fécondité, frôlent l’abstraction dans leurs formes lisses et géométriques.

Rites et jeux
Les nombreux zemi que chacun possédait étaient l’objet d’un culte individuel. Ceux conservés dans des constructions particulières intervenaient dans différentes cérémonies religieuses, telle la cohoba.
Les prêtres-guérisseurs, avant ce rituel de divination ou de guérison, devaient se purifier en se forçant à vomir à l’aide de spatules. Ensuite, ils entraient en communication avec les esprits zemi, grâce à une plante hallucinogène, dont les graines étaient broyées dans des mortiers. La poudre ainsi obtenue était inhalée au moyen de deux tubes en bois ou en os. Le décor des instruments comme les spatules vomitives, inhalateurs, cuillères et récipients est très varié. On retrouve ainsi les zemi sculptés sur un manche ou modelés sur une anse, mais aussi la chauve-souris et la grenouille, motifs animaliers fréquents dans toute l’Amérique.

Autre rituel : le jeu de balle. Connu entre autres chez les Mayas et les Aztèques, il donnait lieu à de grandes fêtes cérémonielles qui se déroulaient sur des places rectangulaires. Deux équipes se disputaient une balle en caoutchouc très dure que chaque joueur ne devait toucher ni avec les mains, ni avec les pieds.

Si les ceintures de pierre liées au jeu de balle (trophées de victoire ?) ont été retrouvées aux abords des places, une grande partie des objets taïnos, par exemple la statuaire en bois, provenait des grottes. Mais ce sont les personnages en coton qui ont le plus frappé les missionnaires puisqu’ils les ont rapportés en Europe. On voulait exposer ainsi devant la basilique Saint-Pierre de Rome, les "idoles", témoins de l’évangélisation des indiens. D’autres objets, comme les sièges de cérémonie, furent offerts par une femme cacique au frère de Christophe Colomb. Cadeaux de prestige, qui ne scellèrent pourtant pas d’échanges durables. Les Taïnos, en effet, ne survécurent pas à cette rencontre.

L’art des sculpteurs taïnos, chefs-d’œuvre des Grandes Antilles précolombiennes. Musée du Petit Palais, avenue Winston-Churchill, Paris 75008. Jusqu'au 29 mai.
Catalogue : L’art Taïno, 272 pages, broché 300 F, relié 380 F, prix de lancement jusqu’au 30 juin, 250 et 310 F.

Jacques Kerchache

L’expert Jacques Kerchache est "l’Indiana Jones" infatigable des temps modernes. Des Inuit aux Papous, des Chinois aux Précolombiens, aucune civilisation n’a de secrets pour lui. Quand il ne descend pas les fleuves africains en pirogue, il se bat pour sortir du "ghetto ethnographique" les arts dits primitifs. "Le patrimoine mondial de l’art doit être à la disposition de tous", dit-il en défendant farouchement l’approche esthétique de chaque œuvre : "Je n’ai pas la pensée étiqueteuse et quand je vois un objet, je ne demande pas sa carte d’identité." Tour à tour voyageur en Afrique, Asie et Océanie, consultant, il est commissaire de multiples expositions en Europe sur l’art africain (Rome, Cologne, Paris) et aux Etats-Unis (New York). Sa renommée commence quand il serre la main de Picasso alors qu’il a tout juste 20 ans. Plus tard, il devient expert de la collection d’arts primitifs du même Picasso et de celles d’artistes actuels comme Baselitz. Quand il revient à Paris, où il vit, il écrit. Co-auteur de la vaste compilation sur l’art africain éditée chez Citadelles & Mazenod, il a publié plusieurs articles dans les magazines d’art. Photographe, cinéaste, à 50 ans, ce marchand touche à tout. "Le jour où j’arrêterai d’être passionné, je serai mort" dit-il.

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°1 du 1 mars 1994, avec le titre suivant : Les Taïnos ou la surprise de Christophe Colomb

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