Comme d’autres tricotent, cousent ou brodent dès qu’elles le peuvent, Emmanuelle Fructus découpe les personnages des photographies qu’elle chine dans les brocantes.
Peu importe leur âge, leur taille, leur corpulence ou leur habillement. Ils ne portent néanmoins jamais de chapeau ni de sac à main. Leur alignement de face ou légèrement de profil sur le papier est ensuite méthodique, minutieux, et leur ordonnancement variable d’un tableau à un autre. La récurrence répétitive du procédé forme une somme d’histoires individuelles réduites à une masse de gens sans nom ni prénom. Le génocide hante l’ouvrage et le temps long, très long que chaque tableau engage pour sa réalisation, ravive des existences. Chaque pièce est par nature unique et titrée du nombre total de personnages qu’elle contient. Les tableaux nés de formes prédéterminées et découpées dans des chutes de Cibachrome jaune, rouge ou bleu qu’elle récupère dans des laboratoires n’y dérogent pas. Depuis onze ans, l’ancienne iconographe et documentaliste de métier, référencée par les artistes ou les collectionneurs pour ses activités de collecte de photographies vernaculaires, tisse une œuvre singulière et marquante. L’Institut pour la photographie à Lille lui a organisé en novembre-décembre sa première exposition. La Conserverie à Metz délivre d’autres pièces inédites. Dans les espaces réduits de ce conservatoire d’albums de famille unique en France, l’intériorité propre à chaque tableau fascine, voire émeut justement par la capacité de leur auteure à redonner une présence en propre aux silhouettes, visages qu’il appartient à chacun de regarder à son tour.
Cet article a été publié dans L'ŒIL n°731 du 1 février 2020, avec le titre suivant : Les surgis d’Emmanuelle Fructus