Dieter Appelt est un artiste rare, et les apparitions de ses œuvres le sont aussi. La galerie Françoise Paviot présente un choix discret mais efficace, sans ostentation, qui permet d’apprécier la force de ses photographies étranges. Chaque confrontation est une expérience du souvenir, de la modification des images intérieures, bien loin des poncifs de l’instantané.
PARIS - Dieter Appelt est un artiste qui pratique essentiellement la photographie (et aussi le cinéma, la sculpture), mais à l’opposé de ces “photographes qui se disent artistes”, faiseurs d’images faciles, prélevées à la va-vite. Il hait le reportage, l’instantané, et dit ne pas même savoir ce que c’est. Son œuvre explore systématiquement, depuis plus de vingt ans, les possibilités réelles de dispositifs photographiques améliorés qui ne se contentent pas d’exploiter l’appareillage habituel. Admirateur d’Ezra Pound, sur les traces duquel il a réalisé une série en 1981, son maître mot est “vortex”, le tourbillon de la pensée, du mouvement, de l’énergie centrale, de l’impact des images, élaboré par Pound et illustré par Gaudier-Brzeska et Alvin Langdon Coburn. Il en résulte pour lui une conception de l’image photographique comme stratification, comme construction de dépôts successifs, superposition de prises de vue qu’il applique aussi bien à son propre visage qu’à des objets peu identifiables. Ce sont les modalités d’application de ce principe qui varient, et aussi les dispositifs. Par exemple, la prise de vue pourra se répéter des milliers de fois sur la même plaque, avec un diaphragme très fermé – un système d’engendrement d’images emprunté notamment à la chronophotographie de Marey et aux photographies futuristes de Bragaglia ou de Coburn. Un objet placé sur une sellette tournante et très peu éclairé par des flashs intermittents dépose peu à peu de multiples facettes qui se mêlent et se confondent. Parler de flou serait très réducteur, puisque ce n’est pas un effet qui est recherché, mais une structuration de la pratique, qui porte avec elle une représentation de “l’irreprésentable” (série des Space Tableau de 1989-1990).
Assurément, on s’interroge devant ces images, sur la nature de ce que l’on voit – non pas un objet, mais le résultat de superpositions qui démultiplient l’espace. Les méthodes de Dieter Appelt ne visent pourtant pas à produire de l’étrangeté, de l’indiscernable, mais elles veulent aller plus loin que le langage verbal, par la création d’un langage de l’image inédit, plus primitif, plus fondamental aussi, à la manière de la perception humaine, de la construction des souvenirs par images superposées et rappelées de l’inconscient. Son visage, d’un calme et d’une concentration imposants, en gros plan derrière une mire de fils croisés, se prête à cette exploration énergétique de l’apparition de la conscience, de l’identité, comme dans les premiers temps de l’humanité. Visage de l’homme premier, issu de la boue originelle, dont le cri se perd dans la dilatation du temps (Image de la vie et de la mort, film visible dans l’exposition). Recherche d’une origine du langage et de la perception, dont témoigne aussi le plus grand format de l’exposition, Vortex (1999), imposant disque de pierre granitique qui fait penser à un rituel solaire.
- DIETER APPELT, jusqu’au 8 avril, Galerie Françoise Paviot, 57 rue Sainte-Anne, 75002 Paris, tél. 01 42 60 10 01, tlj sauf dim. et lundi 14h30-19h.
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Les strates du souvenir
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°100 du 3 mars 2000, avec le titre suivant : Les strates du souvenir