PARIS
Le Musée du quai Branly met le cap sur cette partie du territoire congolais à la découverte d’un vaste ensemble peu montré de masques et statues en bois des années 1875 à 1950.
Paris. Ils ont pour nom Tshokwe, Holo, Pende, Yaka, Wongo ou Ngongo. Une cinquantaine de peuples vivent dans le Bandundu, une ancienne province de la République du Congo, située entre les fleuves Kasaï et Kwilu sur un territoire plus grand que l’Italie. Une carte placée à l’entrée de l’exposition permet de localiser leur implantation, des Sengele et Buma au Nord, aux Suku et Lunda au sud. Variété des formes, des matières utilisées (bois, plumes, peaux tannées, pigments, fibres végétales, écorces, mélanges bitumineux, perles, clous de tapissier…), des couleurs (masque pakasa blanc, bleu et marron, masque heaume hemba tricolore des Kwese présentant un coloris en damier), l’exposition « La part de l’ombre » invite le visiteur à une immersion dans un art peu connu : les sculptures du sud-ouest du Congo.
Orchestrée par Julien Volper, conservateur des collections ethnographiques au Musée royal de l’Afrique centrale de Tervuren (Belgique), elle réunit quelque cent soixante pièces, masques, statues et autres objets sculptés utilitaires dont bon nombre ont été prêtés par le musée belge.
C’est avec les masques que s’ouvre le parcours où l’on découvre la force du peuple Tshokwe avec des matériaux composites comme cette gracieuse et paisible tête de femme pwo en bois, ornée de fibres végétales [voir ill.], l’expressivité des masques pende comme ce Bwala-Bwala au nez de travers, aux yeux exorbités et à la bouche tordue suggérant une crise d’épilepsie ou des attaques nerveuses, la beauté des masques holo comme ce pakasaà la gracieuse tête de buffle entourée d’une collerette de lanières végétales. Tous sont utilisés dans le cadre du rite d’initiation masculine mukanda destiné aux enfants et adolescents de 9 à 15 ans. Pendant plusieurs semaines, ceux-ci étaient éloignés de leurs parents. Le rituel commençait par la circoncision des jeunes qui étaient ensuite reclus dans un campement situé en brousse. Là, ils apprenaient l’histoire, les arts, les valeurs morales et les mythes de leur peuple ainsi que les métiers et techniques (la chasse notamment) qui feront d’eux des hommes complets. Pendant l’initiation, les masques protégeaient les initiés et le camp contre les forces surnaturelles malfaisantes et les individus animés de mauvaises intentions. Gardiens du camp, les porteurs de masques jouaient aussi le rôle d’émissaires vis-à-vis de l’extérieur. Ainsi les masques kakuungu des Yaka et des Suku au physique intimidant protégeaient les initiés tout en leur inspirant l’effroi afin qu’ils respectent et appliquent les règles du mukanda.
L’exposition, très didactique, nous invite, pour toutes ces pièces, à « regarder pour mieux comprendre ». À prêter attention aux détails, aux motifs décoratifs, aux essences de bois utilisées, à la gestuelle mais aussi à l’apparence générale des objets. Les coloris revêtent eux aussi une signification précise. Ainsi du blanc et du rouge utilisés dans les masques kakuungu. Le rouge symbolise le sang, la vengeance et le mal ; le blanc, les bénédictions et la santé, explique Manuel Jordan Perez, directeur adjoint et conservateur en chef au département Afrique au Musical Instrument Museum de Phoenix (Arizona) dans un texte du catalogue. « Ce dualisme illustre la nature des pouvoirs extraordinaires attribués à certains masques, personnifications d’esprits qui peuvent soit guérir et protéger, soit nuire et infliger des punitions à ceux qui portent atteinte à autrui ou aux biens, ou sont animés d’intentions malveillantes », poursuit-il.
Après les masques suit un large panorama consacré à la statuaire dévoilant des pièces qui n’ont encore jamais été montrées. Là aussi, l’accent est mis sur les fonctions de ces objets : guérison des malades, protection contre la sorcellerie et accompagnement des chasseurs. Ainsi des charmes mbuumba des Yaka liés à la chasse au piège, portant autour de leur cou un ensemble impressionnant de mâchoires d’animaux. Ils protègent les chasseurs qu’ils invitent à être « vigoureux, vifs d’esprit et aventureux », souligne Arthur P. Bourgeois, professeur émérite en histoire de l’art à l’University Park (Illinois). Les mbuunduka visent, eux, à défendre les champs de manioc. Tandis que les puungu ont pour fonction de protéger contre les sorciers et les voleurs. Les statues khosi symbolisent, quant à elles, l’autorité des chefs et de leurs épouses.
Le parcours s’achève sur une sélection d’armes, d’outils (sabres, lances, couteaux, hachettes, herminettes), pendentifs, appuis-nuques et autres sièges à caryatides. « Autrefois, dans le sud-ouest congolais, on ne pouvait pas s’asseoir là où on voulait et encore moins sur ce que l’on voulait, car le support et l’endroit où l’on était assis reflétaient le rang social et le pouvoir qui en résultait », écrit Marc Léo Felix, commissaire d’exposition et collectionneur spécialisé dans l’art du Congo, qui évoque notamment les tabourets décorés réservés aux chefs tout comme les appuis-dos enjolivés de métaux rares, d’une tête ou d’un être humain stylisé.
Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°582 du 4 février 2022, avec le titre suivant : Les sculptures tribales du sud-ouest du Congo