Pour son inauguration en grande pompe rue de Bercy, à Paris, la Cinémathèque française revient sur la proximité des univers des deux maîtres.
PARIS - Près de soixante-dix ans après sa création, la Cinémathèque française a effectué un amarrage réussi au 51 de la rue de Bercy, ancien siège de feu l’American Center, dans le 12e arrondissement à Paris. Son président, Claude Berri, a fait appel au Musée d’Orsay pour élaborer une manifestation digne de cette inauguration. Les liens qui unissent le cinéma à l’art du XIXe siècle sont nombreux, et « Renoir/Renoir » coule en quelque sorte de source. Cette exposition hommage repose sur le caractère unique des relations entre le peintre impressionniste Pierre-Auguste Renoir (1841-1919), et son cinéaste de fils, Jean Renoir (1894-1979).
Un lien unique qui appelle un format unique. Le parcours de l’exposition repose en grande partie sur les confrontations entre peintures et scènes de films, autour de trois thèmes : le modèle, la nature, la famille. Il ne s’agit pas d’effectuer de comparaison, comme le rappelle Serge Toubiana, l’un des commissaires de l’exposition, mais plutôt d’évoquer des « correspondances ou [des] échos ». Michel Simon, tenant le rôle d’un peintre meurtrier dans La Chienne (1931), rappelle la silhouette dégingandée du jeune Pierre-Auguste, saisie par Frédéric Bazille en 1867. Sylvie Bataille, se balançant ou assise dans un canot dans Une partie de campagne (1936), donne vie à La Balançoire (1873) et aux Canotiers à Chatou (1879). La riche palette du peintre s’est substituée au mouvement en noir et blanc, propre à la technique cinématographique. Dans l’ouvrage très complet qui accompagne l’exposition, Alain Bergala écrit à juste titre que « la réminiscence impressionniste est plus présente dans ses films en noir et blanc que dans ses films en couleur », et d’expliquer que les pellicules de l’époque, très peu sensibles, ne permettaient pas de travailler les nuances des couleurs.
Le Technicolor éclate dans le Déjeuner sur l’herbe (1959), et la sensualité de Catherine Rouvel rappelle la volupté du modèle de l’Étude. Torse, effet de soleil (1876). Sans oublier le Bal au moulin de la Galette, Montmartre (1876), dont la musique et le brouhaha envahissent Elena et les hommes (1956), et French Cancan (1954). L’exposition se concentre sur les sujets tout à la fois traités par Pierre-Auguste et Jean, ce qui explique l’absence cruelle de deux chefs-d’œuvre du cinéaste, La Grande Illusion (1937) et La Bête humaine (1938), films traitant de la dure réalité de la guerre et du monde ouvrier. Le parcours adresse aussi des clins d’œil à ses deux frères, l’acteur Pierre (1885-1952), formidable Louis XVI dans La Marseillaise (1937), et Claude dit « Coco » (1901-1969), au talent de céramiste, ainsi qu’à son neveu Claude junior, chef opérateur (1914-1993).
« Renoir fait le cinéma idéal qu’aurait fait son père si l’on pouvait s’imaginer que celui-ci eût quitté ses pinceaux pour la caméra », observe André Bazin, dans son ouvrage sur le cinéaste publié en 1971. À vrai dire, Jean avait débuté en faisant de la céramique, avant de s’engager sur la voie du cinéma par amour. Alain Bergala personnifie le désir de création transmis de père en fils, en la personne d’Andrée Heuschling, dernier modèle du peintre et épouse du cinéaste en devenir. Sous le pseudonyme de Catherine Hessling, elle sera l’héroïne, entre autres, de La Fille de l’eau (1924) et Nana (1926). À son sujet, Jean a tenu ces propos, qui, heureusement pour le cinéma français, ne se sont jamais concrétisés : « J’insiste sur le fait que je n’ai mis les pieds dans le cinéma que dans l’espoir de faire de ma femme une vedette. Je comptais bien, une fois ce but atteint, retourner à mon atelier de céramique. »
Jusqu’au 9 janvier 2006, Cinémathèque française, 51, rue de Bercy, 75012 Paris, tél. 01 71 19 33 33, www.cinématheque.fr, tlj sauf mardi, 12h-19h, 12h-22h le jeudi, 10h-20h le week-end. Cat., 240 p., 39 euros, ISBN 2-73243-325-X. - Commissaires : Serge Lemoine, directeur du Musée d’Orsay, et Serge Toubiana, directeur général de la Cinémathèque française - Scénographe : Lorenzo Piqueras - Nombre d’œuvres : 138 - Nombre de salles : 5 - Financement : Christian Dior, Région Île-de-France
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Les Renoir, une dynastie artistique
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Abonnez-vous dès 1 €Franck O. Gehry revu de l’intérieur Sept ans de réfection… C’est le temps qu’il aura fallu entre la décision du ministère de la Culture d’installer le temple français de la cinéphilie dans l’ancien American Center et son inauguration. Si l’enveloppe du bâtiment d’origine, imaginé en 1993 par l’architecte Frank O. Gehry a été conservée, l’intérieur, lui, a été réaménagé de pied en cap. « Le bâtiment était d’une incroyable complexité spatiale, explique Dominique Brard (Atelier de l’Île, Paris), maître d’œuvre de la transformation. Aucun des volumes ne se superpose, et, sur les huit étages que compte l’édifice, on trouve pas moins d’une quarantaine de niveaux… » Bref, une restructuration en profondeur s’imposait. Coût des travaux : 33,9 millions d’euros. La palette initiale de matériaux a été réemployée : bois, verre, acier galvanisé et pierre calcaire. L’ex-théâtre fait aujourd’hui place à quatre salles de cinéma, dans des tons tristes, mais aux sièges confortables : la salle Georges-Franju (200 places) et la salle Jean-Epstein (94 places), une salle réservée aux activités pédagogiques, enfin, une vaste salle de 415 fauteuils, baptisée… « Henri-Langlois ». Au 5e étage se déploie une galerie de 600 m2, désormais dévolue aux expositions temporaires. Mais la volonté de faire entrer le programme « au chausse-pied » dans un bâtiment existant a provoqué quelques dégâts collatéraux. Au 1er étage s’est logée, tant bien que mal, une bibliothèque-médiathèque. Pis, le magique Musée du cinéma du Palais de Chaillot n’est plus que l’ombre de lui-même. Il se résume désormais à une exposition permanente, un brin labyrinthique, intitulée « Passion Cinéma ». Christian Simenc La Cinémathèque française en dates : - 2 septembre 1936 : création de la Cinémathèque française - 5 juin 1963 : inauguration de la salle du Palais de Chaillot - Février 1968 : « affaire Langlois » - 14 juin 1972 : inauguration du Musée du cinéma - 24 juillet 1997 : incendie au Palais de Chaillot - 28 février 2005 : fermeture de ses salles - 26 septembre 2005 : inauguration du 51 de la rue de Bercy
Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°222 du 7 octobre 2005, avec le titre suivant : Les Renoir, une dynastie artistique