Cette exposition s’inscrit dans le cadre des célébrations du tricentenaire de la fondation de Saint-Pétersbourg. Un comité français a été chargé d’évoquer les relations franco-russes très riches au XVIIIe siècle, à travers une série de manifestations, dont celle-ci.
Fondée par Pierre le Grand en 1703, la ville devient peu après la capitale de l’empire russe. Accédant au trône en 1762, Catherine II entend faire de Saint-Pétersbourg un haut lieu de culture ouvert sur l’Europe et la France en particulier. C’est une collectionneuse avide, qui achète dans toute l’Europe, et éclairée, notamment par des conseillers tels que Grimm ou Diderot.
Elle rachète des collections entières (dont celle de Pierre Crozat) : en tout près de trois mille peintures, sept mille dessins, soixante-dix mille gravures – sans parler du reste – qui forment le cœur du musée de l’Ermitage. Ces acquisitions trahissent un goût dominant pour la peinture hollandaise (mille trois cent cinquante tableaux) et en particulier pour Rembrandt et ses élèves, dont le musée possède un des plus importants ensembles qui soient au monde.
Le prêt, par l’Ermitage, de trois peintures de Rembrandt et de trente-cinq tableaux de ses élèves,
a permis, en complétant cet ensemble par une quarantaine d’œuvres venues de plusieurs grands musées européens, de faire un nouveau point sur la question passionnante de « l’atelier de Rembrandt » (pour reprendre le titre d’un ouvrage fameux de Svetlana Alpers). Les Rembrandt sont des chefs-d’œuvre bien connus. La Saskia en Flore (1634) est un portrait « historié », éblouissant par la richesse de sa couleur et de sa lumière.
Le Sacrifice d’Abraham (1635) est une des grandes compositions bibliques de l’artiste. L’action se noue et se dénoue à travers un enchaînement de gestes spectaculaires : ceux du père, qui d’une main renverse brutalement la tête de la victime pour mieux dégager la gorge à trancher, tandis que son autre main, arrêtée par l’ange au moment crucial, lâche le couteau ; et les gestes de l’ange, qui à la fois retient Abraham et en appelle au Ciel. Le Portrait de vieille femme (1654), enfin, est un de ces portraits intimistes qui nous émeuvent tant, une de ces figures intemporelles et pleines d’ombre où les traits particuliers, en s’estompant, semblent se charger de la mémoire de toute une vie.
Rembrandt, dont l’enseignement était très recherché, eut des élèves tout au long de sa carrière. À Leyde d’abord, sa ville natale, puis à Amsterdam, où il ouvre un grand atelier en 1635. Il voit ainsi défiler trois générations d’artistes : Gerrit Dou, Salomon Koninck, Jacob Adriaens Backer, Govaert Flinck, Ferdinand Bol, Gerbrand Van Den Eeckhout, Samuel Van Hoogstraten, Christoph Paudiss, venu d’Allemagne, jusqu’aux derniers élèves, Willem Drost, Nicolas Maes, Aert de Gelder, qui prolongea son style jusqu’au début du XVIIIe siècle.
Ces élèves sont des artistes déjà formés et capables de produire des œuvres commercialisables, mais ils viennent chez Rembrandt pour se perfectionner et surtout pour acquérir la « manière » du maître : cette manière tient à une certaine liberté d’exécution, notamment dans le traitement de la couleur et de la matière picturale, à la science du clair-obscur, à la densité psychologique des personnages portraiturés, mais aussi aux sujets (petits tableaux d’histoire, thèmes bibliques, figures pittoresques).
Le dessin, d’après les nombreuses œuvres d’art et objets de curiosité appartenant au maître, mais aussi d’après le modèle vivant, était au centre des études.
Depuis les recherches menées ces dernières décennies (publications de Svetlana Alpers, investigations du Rembrandt Research Project), on sait que l’atelier de Rembrandt avait aussi une importante vocation commerciale. Il était mené comme une entreprise, en accord avec les lois nouvelles d’un marché de l’art florissant. Plutôt que de rechercher les grandes commandes publiques (d’ailleurs rares aux Pays-Bas), ou la protection des mécènes, l’atelier produisait essentiellement des petits et moyens formats, tableaux d’histoire, portraits et figures d’expression dans le style du maître, qui étaient ensuite proposés aux amateurs. Les élèves n’ayant pas encore le droit de signer leurs tableaux, c’est le maître qui les signait, après les avoir éventuellement retouchés.
Il est donc parfois très difficile de distinguer la main de Rembrandt de celle de ses disciples. Et de décider si une œuvre est entièrement autographe, peinte par les élèves avec des retouches du maître, ou si elle résulte d’une véritable collaboration entre eux. Les attributions sont parfois d’autant plus problématiques que non seulement ils traitaient les mêmes thèmes, mais qu’ils peignaient et dessinaient, au sein de l’atelier, d’après les mêmes modèles vivants. Par ailleurs les élèves étaient amenés à réaliser aussi des copies des œuvres de Rembrandt – y compris de ses autoportraits ! – ce qui brouille encore un peu plus les cartes.
En permettant de confronter certaines œuvres, l’exposition de Dijon provoquera peut-être de nouvelles attributions. Ainsi Le Sacrifice d’Abraham (thème fréquemment traité dans l’atelier de Rembrandt, comme en témoignent dessins et gravures) est confronté pour la première fois avec sa seconde version prêtée par la Alte Pinakothek de Munich. Cette dernière comporte une précieuse inscription : « Rembrandt. Changé et repeint 1636 ». Mais qui est l’auteur du tableau ? Govaert Flinck ? Ferdinand Bol ? Affaire à suivre.
- « Rembrandt et son école. Collections du musée national de l’Ermitage de Saint-Pétersbourg », DIJON (21), musée des Beaux-Arts, palais des États de Bourgogne, tél. 03 80 74 52 70, 24 novembre-8 mars 2004. - À voir aussi : « Rembrandt et les peintres graveurs italiens, de Castiglione à Tiepolo », ÉPINAL (88), musée départemental d’Art ancien et contemporain, 1 place Lagarde, tél. 03 29 82 20 33, 6 décembre.- 9 mars 2004.
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Les Rembrandt de Catherine II
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans L'ŒIL n°553 du 1 décembre 2003, avec le titre suivant : Les Rembrandt de Catherine II