PARIS
Nos yeux étaient à ce point éblouis par l’histoire inca qu’ils en avaient été aveuglés. L’exposition « Le Pérou avant les Incas », au Musée du quai Branly, dilate nos pupilles.
Elle nous permet de distinguer enfin, dans l’ombre de cette culture éclatante, les civilisations cupisnique, mochica, lambayeque et chimù qui l’ont précédée et fait advenir : victimes du temps, des destructions, des pillages, ces dernières avaient disparu de nos mémoires, au point qu’on en était venu à douter même de leur existence. Mais cette amnésie n’est plus d’actualité : au cours des trente dernières années, l’archéologie de la côte nord du Pérou, au pied de la Cordillère des Andes, a permis des avancées surprenantes, grâce en particulier aux découvertes de tombes royales à Sipán et Pomac, de peintures murales à Pañamarca, de tombes de reines à San José de Moro, Cao et Chornancap, comme aussi grâce aux campagnes de fouilles menées près de Trujillo, à la Huaca de la Luna, El Brujo et Úcupe. Le Musée du quai Branly, en exposant les trésors exhumés, nous plonge au cœur de ces avancées scientifiques.
À travers près de trois cents œuvres (céramiques, sculptures, bijoux, emblèmes, mobilier funéraire, ornements personnels), nous voici donc à reconstituer le puzzle de l’histoire méconnue des sociétés andines et à réfléchir sur l’exercice d’un pouvoir partagé entre dieux célestes, rois, élites et seigneurs urbains, guerriers et prêtres ou prêtresses. Dans les récipients en terre cuite aux dessins ou aux formes animales ou végétales, c’est la faune et la flore de ce désert aride qui surgit sous nos yeux, tandis que s’esquissent, aussi, des dieux anthropomorphes aux crocs de félins ou aux serres et aux ailes d’oiseaux. Et voici qu’ensuite des maquettes de temples ou de palais nous font entrevoir une des manifestations du pouvoir de ces sociétés où l’écriture n’existait pas encore. Plus loin, des céramiques modelées, représentant par exemple un prisonnier, la corde au cou, buvant une substance hallucinogène, révèlent les sacrifices humains des Mochicas ; d’autres donnent à voir les visages de leurs dignitaires à différents âges de leurs vies, ou encore de leurs prêtres aux visages scarifiés, ou de leurs guerriers, brandissant masse et bouclier.
D’une pièce à l’autre, c’est ainsi toute une société qui se reconstitue sous nos yeux écarquillés. Et certains individus nous émerveillent plus encore que les autres – comme un seigneur de guerre de Sipán, avec ses emblèmes et son somptueux mobilier funéraire, exhumé en 1987 et présenté dans une vitrine monumentale. Mais l’une des plus grandes surprises de cette passionnante exposition tient peut-être dans les couronnes et les sceptres des femmes – en particulier la « Dame de Cao », cette jeune femme de la période mochica ancienne, enterrée avec ses ornements de nez en or, ses sceptres, ses massues de guerre, ses habits décorés de plaques de cuivre dorées, ses propulseurs de lance et autres emblèmes rattachés aux dieux nocturnes. On attend avec impatience que les fouilles se poursuivent et nous révèlent d’autres pans de ces civilisations aussi fascinantes que méconnues.
« Le Pérou avant les Incas »,
Musée du quai Branly, 37, quai Branly, Paris-7e, www.quaibranly.fr
Cet article a été publié dans L'ŒIL n°709 du 1 février 2018, avec le titre suivant : Les puzzles reconstitués des ancêtres des Incas