En Europe, au début du xxe siècle, quelques artistes bousculent les catégories de l’art en inventant leurs propres règles. Ils s’appellent Matisse, Derain, Kandinsky et accouchent de la modernité.
« C’était un temps d’acquisitions nouvelles, fauvisme, exaltation de la couleur, précision du dessin due au cubisme, visites au Louvre et influence exotiques… » : Matisse se souvient de ces années 1905-1908 durant lesquelles s’inventèrent les principes de l’art moderne.
L’aventure du fauvisme
Pour ce qui est du fauvisme, l’histoire est archiconnue : les peintres Matisse, Derain, Vlaminck, Marquet, Rouault et Van Dongen regroupés dans la salle 7 du Salon d’automne de 1905 proposent à travers leurs travaux une esthétique nouvelle. Ils déclenchent passions et ricanements et sont désignés comme fauves par dérision. Ce déchaînement leur confère une belle publicité et le statut de rebelles, propre aux avant-gardes. Toutefois, parmi ce concert de voix discordantes, certaines, lasses du « cul-de-sac néo-impressionniste » à bout de souffle, laissent entendre « qu’on était à la veille de quelque chose ». À la veille d’une des étapes les plus cruciales de l’histoire de l’art, un moment de fulgurance qui allait dessiner les contours de la modernité.
Le fauvisme, au départ un simple réseau d’amitiés, est un phénomène européen qui se manifeste principalement en France, mais irradie aussi vers la Hollande, l’Allemagne, la Russie. Le premier cercle « fauve » constitué dès 1906 s’élargit à un groupe d’amis : Puy, Valtat, Chabaud, Friesz, Fauconnier, Camoin et Manguin. Certains d’entre eux sont liés à Matisse depuis l’atelier de Gustave Moreau. Ils constituent un courant fauve plus tempéré, fondé sur l’exaltation de la couleur, un dessin délié, mais où l’espace n’est pas remis en cause. Le groupe connaît son apogée en 1907.
À partir de 1908, l’influence grandissante de Cézanne, Van Gogh et Gauguin et l’irruption du cubisme font dévier le « premier » fauvisme de 1905. Son évolution l’entraîne vers une palette moins violente, un agencement spatial structuré, un dessin plus précis.
Matisse et Kandinsky
Matisse est la figure tutélaire de cette modernité. Son langage visuel s’inscrit dans la quête autonome des plans des couleurs et des lignes. Tandis que les peintres traditionnels s’évertuent à créer l’illusion d’un espace tridimensionnel, Matisse le rejette pour le plan. Le plan permet de transformer sur la toile la réalité préexistante en réalité idéale par la force propre de la ligne et de la couleur. Cette couleur que les premières manifestations du cubisme de Picasso tendent à faire disparaître, Matisse en fait son vecteur de prédilection. Il organise ses tableaux par la couleur utilisée de manière mouchetée ou globale, comme un champ dans lequel il introduit d’autres zones colorées. Ses tableaux sont rigoureusement plats, mais imprégnés de sensations spatiales visibles.
Le peintre russe Kandinsky, grand admirateur de Matisse, utilise cette formule radicale pour résumer le « tournant spirituel » qui caractérise son époque : Matisse couleur, Picasso forme. Phrase qui fait débat tant elle est réductrice des seules différences des deux maîtres de l’art moderne. Bien que différents il est vrai par les moyens utilisés, tous deux ont pour le moins un objectif commun : détruire l’illusion naturaliste et lui substituer un processus pictural pour reconstruire la représentation.
Kandinsky est un fauve singulier issu de l’expressionnisme allemand et fondateur du Blaue Reiter.
Dans une quête difficile, il développe des questionnements complexes portant sur « l’intériorité spirituelle » du monde qu’il veut exprimer par de nouveaux accords, de nouvelles formes alliées à des couleurs inusitées. Il en fait une interprétation fulgurante, inattendue, d’un lyrisme puissant, sans équivoque et qui trace une voie jusqu’alors inexplorée. En 1910 il signe la première aquarelle abstraite de l’histoire de l’art. Le suprématiste Malevitch ira plus loin dans la représentation radicale d’un univers infini, avec le premier monochrome.
Chaque artiste a son discours qui souvent n’a rien d’original, mais tous ont les mêmes préoccupations : peindre des œuvres nouvelles comme on n’en a jamais vu, tous ressentent ce besoin de s’émanciper de la nature, de s’évader de la société bourgeoise, de ses règles étriquées, tous prônent le retour aux formes élémentaires, le nécessaire retour aux origines. D’où cette curiosité universelle, cette ouverture aux cultures « autres », les influences exotiques dont parle Matisse. Pour lui, ce sera l’art islamique. Pour Derain et Vlaminck, l’art africain, pour Kandinsky l’art populaire russe, et pour Picasso et le groupe Blaue Reiter, l’art primitif ou tribal.
Cette période féconde bouleverse la vision de la peinture de ces années-là et de ce vivier sont nées des peintures qui comptent parmi les chefs-d’œuvre de l’art européen.
1 L’Hermitage est une « antenne » du prestigieux musée de Saint-Pétersbourg. À ce titre, il organise ses expositions à partir de la collection de l’Ermitage riche de 3 millions d’objets et d’autres musées russes. Cette exposition unique donne un aperçu de trésors que l’on peut admirer à moins de quatre heures de Paris : La Chambre rouge de Matisse, La Buveuse d’absinthe de Picasso, Carré noir sur fond blanc de Malevitch…
2 Le site vient d’ouvrir dans l’un des plus beaux exemples d’architecture monumentale classique d’Amsterdam. L’Amstelhof – 107 000 m2, construit au xviie siècle au bord du fameux canal Herengracht – reçut la visite de Pierre le Grand lors de son séjour à Amsterdam. D’où son rêve de capitale aquatique aux confins de la Baltique.
3 Après la Journée nationale du cerf-volant (8 mai) et l’exposition de printemps du musée Van Gogh, « De Matisse à Malevitch » est le seul événement phare de l’été à Amsterdam. C’est dire combien cette exposition complète une offre un peu squelettique.
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Les pionniers de l’art moderne
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Abonnez-vous dès 1 €Informations pratiques. « De Matisse à Malevitch, les pionniers de l’art moderne », jusqu’au 17 septembre 2010. Hermitage, Amsterdam. Tous les jours de 10 h à 17 h, jusqu’à 20 h le mercredi. Tarif : 15 euros. www.hermitage.nl
Le coffre aux trésors d’Ambroise Vollard. En 1979, des banquiers ébahis découvrent une centaine d’œuvres d’artistes majeurs de la fin du xixe et du début du xxe siècle dans un coffre fermé depuis quarante ans. Entre autres chefs-d’œuvre, un Degas et un Derain inédits, les premières photographies de Man Ray, un portrait
du jeune Zola par Cézanne ! Ces merveilles faisaient partie de la collection d’Ambroise Vollard, marchand d’art de Chtchoukine et Morozov, dispersée après sa mort en 1939. Elles seront mises en vente par Sotheby’s le 29 juin prochain à Paris.
Cet article a été publié dans L'ŒIL n°625 du 1 juin 2010, avec le titre suivant : Les pionniers de l’art moderne