La numérisation de pointe fabrique d’excellentes copies d’œuvres d’art. Elle permet de représenter des sites patrimoniaux en danger et de produire des œuvres singulières.
Lausanne.« Le Covid-19 et le réchauffement climatique ne font que renforcer le besoin pour le numérique dans les musées » : le constat de la chercheuse en muséologie Sarah Kenderdine est dans l’air du temps. Cette professeure néo-zélandaise de l’École polytechnique de Lausanne (EPFL) où elle occupe la chaire de muséologie numérique sait mieux que personne de quoi il est question : depuis des années, elle explore de nouvelles approches pour interagir avec l’héritage culturel et artistique dans des environnements immersifs. À la plateforme « Art et Science » de l’institution universitaire qu’elle dirige depuis 2016, elle fait un tour d’horizon des pratiques et des avancées en matière de numérisation du patrimoine et de l’art. « Deep Fakes, Art and its Doubles » a tout d’une exposition encyclopédique – non seulement par les zones géographiques concernées, par les types d’œuvres présentées (du tableau au site archéologique en passant par le patrimoine culturel immatériel) et par les technologies en question. Les vingt et un fac-similés numériques présentés dans le pavillon « ArtLab » ont été rendus possibles grâce aux technologies à la pointe de l’imagerie et de l’immersion interactive – scanner, impression 3D ou photogrammétrie.
Le point de départ de cette exposition est un positionnement à contre-courant de la défiance envers la copie, si présente dans la discipline de l’histoire de l’art : « De toutes les disciplines, l’histoire de l’art est sans doute celle qui dénonce avec le plus de force les copies comme des “faux”. L’authenticité et la provenance des œuvres sont au cœur des préoccupations des conservateurs et des collectionneurs », analyse Sarah Kenderdine. Il s’agit ici de prouver que le fac-similé numérique, le deep fake, fait sens et que l’aura d’origine de l’œuvre peut bien migrer vers son pendant numérique.
Certains aspects abordés dans le propos de l’exposition sont déjà connus. Il s’agit de l’exploration de sites antiques inscrits au patrimoine mondial de l’Unesco et modélisés par des nuages de points en 3D obtenus par des drones d’Iconem, entreprise spécialisée dans la numérisation de sites de patrimoine culturel en danger ou encore des technologies haute résolution appliquées ici à l’étude de paravents japonais ou à des tableaux de l’art ancien et moderne européens. C’est aussi du côté de la réalité augmentée appliquée au champ du patrimoine que l’exposition va chercher de nouvelles perspectives avec la scène interactive de Notre-Dame de Paris créée par le concepteur de jeux vidéo français Ubisoft et l’immersion en réalité virtuelle dans l’abbaye Saint-Michel de Blamberg (Allemagne) : deux exemples d’édifices patrimoniaux endommagés et pour lesquels les explorations numériques complètent l’observation.
D’autres surprises sont au rendez-vous. On reste en particulier stupéfait par la qualité du plus célèbre des deep fakes culturels, le tableau en impression 3D, The Next Rembrandt [voir ill.], dévoilé en 2016 par l’agence néerlandaise Wunderman Thompson et exposé ici. Pour la première fois, un faux autoportrait du peintre néerlandais a été recréé à partir d’une étude poussée des données à disposition. Le processus comprenait notamment l’analyse de trois cents œuvres de Rembrandt grâce à des scans 3D, l’usage de l’intelligence artificielle (deep learning et machine learning) pour comprendre le style du peintre et générer de nouveaux traits du visage, l’assemblage de 165 000 fragments de tableaux ainsi créés, l’imitation des coups de pinceau de Rembrandt, l’impression enfin en 3D sur toile grâce à treize couches d’encre. Un rapport inédit entre original et copie.
Cette même quête de l’original et du post-original se lit dans les interventions d’artistes présentées à Lausanne. L’œuvre d’Olivier Laric qui a numérisé, puis imprimé en 3D une sculpture hybride, double du Pan allongé du sculpteur de la Renaissance italienne Francesco da Sangallo, vient par exemple ajouter à la réflexion sur l’unique et l’authentique, et la complexifier. En admettant « refuser le postulat de la singularité de l’art », l’artiste autrichien se place néanmoins dans la longue lignée d’artistes qui pratiquaient la copie, comme bien avant lui, Pierre Paul Rubens qui avait réalisé une réplique sculptée de ce même Pan.
Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°588 du 29 avril 2022, avec le titre suivant : Les nouveaux usages du numérique dans la culture