La première rétrospective de la Néerlandaise à Paris est organisée au Jeu de paume.
PARIS - Parfois boutonneux, pas toujours premier de la classe, souvent mal dans son corps..., c’est d’abord l’adolescent et ses rites étranges qui a intéressé Rineke Djikstra. Les photographies et vidéos de la Néerlandaise exposées au Jeu de paume-site Concorde révèlent une œuvre hantée par le regard. Une quête, depuis une dizaine d’années, pour capter l’âme à travers l’interminable danse des corps. Qui mieux que des êtres en pleine métamorphose ou encore des corps éprouvés peuvent dévoiler leurs failles et leurs vérités ? Ces personnages, bien que de différentes nationalités et cultures, ont pour point commun d’être en pleine mutation, toujours sur la crête d’une émotion ou simplement en train de grandir, mûrir... et souvent de s’inhiber.
Issue de la photographie de presse, Rineke Dijkstra s’est d’abord fait connaître au début des années 1990 avec une série qui désépaissit légèrement l’énigme adolescente. Des plages d’Ukraine, du Gabon ou de Grande-Bretagne, l’artiste rapporte des vues d’adolescents au sortir du bain. Des corps malingres ou conquérants, des poses aussi poétiques que démantibulées, des visages dénués du moindre sourire, des regards absorbés qui soutiennent l’objectif dans des décors minimalistes..., autant de portraits frontaux, bien centrés, qui jouent sur leur précision. Cette objectivité accentuée par une lumière blanche rappelle les photographies d’artistes tels que Candida Höfer ou Thomas Struth. Chez Dijkstra, le tout se pimente d’un aspect plus socio-documentaire, qui rapproche son œuvre de certaines séries réalisées par la Britannique Gillian Wearing. Les séances de pose assez longues autorisent pourtant le modèle à un certain relâchement, capable de produire alors une version moderne de la Vénus de Boticcelli. Ailleurs, ce seront des Vierges à l’Enfant avec une série réalisée dans les maternités. Mais la Néerlandaise ne s’autorise que peu de douceur et ne cède jamais aux habituels clichés du genre. Dans ces images, l’artiste offre sans détour l’aspect clinique et sanguinolent de ces femmes fraîchement mères, cueillies quasiment au sortir du bloc opératoire et portant dans leurs bras le fruit de leurs entrailles. Le réel peut contenir sa charge de beauté cachée. Des corps allégés de leurs complexes donc. Comme ces enfants photographiés qui posent le plus simplement du monde dans des parcs, sans aucune trace de malaise. Cette aisance et ce naturel devraient disparaître à mesure que le corps quitte l’enfance et se sexualise.
De même qu’elle s’attache aux périodes de flottement, Rineke Dijkstra traque ces moments rares où l’identité d’un individu devient évidence. Ses matadors sont authentiques dans leurs émotions, aussi rougeoyants que flamboyants, aussi épuisés que glorieux. Mais que dire des regards qui se durcissent une fois qu’ils ont appris à se servir d’une arme et pris conscience que la vie ne tient qu’à un fil ? Avec ces portraits de jeunes gens et jeunes filles incorporés dans l’armée israélienne, l’artiste nous soumet ses interrogations politiques. Olivier passe, lui, du jeune garçon de 14 ans au légionnaire pur et dur. Rineke Dijkstra éveille le frisson. Mais l’artiste sait aussi se faire plus légère et provoquer les éclats de rire avec des vidéoprojections comme The Buzzclub (1996). De quoi effrayer les mères de famille ? Rien de grave pourtant. Pour libérer les corps, se livrer sereinement à quelques pas de danse, les lycéens ne sortent pas sans leurs atouts et autres attributs. Crêtes colorées ou décolletés plongeants, piercings, bière et cigarettes..., ces mutants sont plus attachants que jamais.
Jusqu’au 20 février, Jeu de paume, site Concorde, 1, place de la Concorde, 75008 Paris, tél. 01 47 03 12 50, www.jeude paume.org, tlj sauf lundi 12h-19h (21h30 le mardi), week-end 10h-19h.
L’accès à la totalité de l’article est réservé à nos abonné(e)s
Les mutants de Dijkstra
Déjà abonné(e) ?
Se connecterPas encore abonné(e) ?
Avec notre offre sans engagement,
• Accédez à tous les contenus du site
• Soutenez une rédaction indépendante
• Recevez la newsletter quotidienne
Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°209 du 18 février 2005, avec le titre suivant : Les mutants de Dijkstra