S’il existe aujourd’hui une importante production de documentaires sur l’art au sein des musées, la diffusion en reste cependant problématique : la télévision n’assure pas le relais de façon satisfaisante, et les vidéos ne touchent qu’un public restreint. La disparité des moyens financiers consacrés à cette activité avantage les grandes institutions parisiennes, l’absence d’une véritable politique audiovisuelle à la Direction des Musées de France n’encourageant pas les musées de province à produire des films.
Bien que la Direction des Musées de France (DMF) participe ponctuellement à quelques coproductions avec des musées de province, le budget annuel qu’elle consacre aux films (800 à 900 000 francs) ne lui permet pas d’être un partenaire de poids dans cette activité. Hormis la prise en charge de l’équipement audiovisuel de certains musées, elle n’exerce pas de rôle de conseil. Une mission fédératrice et formatrice serait la bienvenue afin d’aider les producteurs à mieux exploiter certains gisements d’argent (notamment dans les conseils régionaux).
De son côté, la Réunion des musées nationaux (RMN) coproduit depuis cinq ans des films sur les expositions et les visites de musées. Sollicitée pour boucler des montages financiers, son "activité [est] plus proche de la subvention que de la production", affirme Béatrice de Boisseson, directrice du département de l’Image. L’édition de cassettes-vidéo, dont la vente n’est rentable que pour les expositions très médiatiques comme "Cézanne" (10 000 exemplaires), ne peut couvrir les dépenses engagées dans les coproductions. La situation est délicate car la RMN sait qu’en abandonnant ce rôle, elle empêcherait nombre de projets d’aboutir. L’annonce de son déficit commercial de 40 millions de francs pour 1995 (lire le JdA n° 29, octobre 1996) ne fait que rendre plus pertinente une question qui se pose depuis longtemps déjà sur le moyen de rentabiliser les coproductions et, finalement, de concilier une mission de service public avec une logique purement commerciale. Sachant que les films sur les expositions et les musées sont essentiellement promotionnels, quelques spots publicitaires à la télévision n’atteindraient-ils pas plus sûrement leur cible ? Pour l’exposition "Picasso et le portrait", la RMN et Arte Vidéo ont préféré éditer Le Mystère Picasso, réalisé par Clouzot en 1955, et consacrer davantage de fonds à son lancement publicitaire.
La télévision, un partenaire incontournable ?
La privatisation de TF1 a déclenché une course à l’audimat généralisée, et les chaînes publiques sont devenues très frileuses. "Le film sur l’art, petit sous-ensemble du sous-ensemble "documentaire", ne fait pas d’audience", déclare Paul Ouazan, chargé de programme pour l’art et la culture à Arte. Comme la Cinquième et Paris-Première, Arte annonce une dizaine de coproductions de documentaires sur l’art par an, dont la série Palettes est emblématique. Les cases de diffusion réservées à cette catégorie ne dépassent guère la cadence d’une par semaine. Quant aux chaînes généralistes, elles n’inscrivent pas les arts plastiques dans leur ligne éditoriale. Les antennes régionales de France 3 répondent parfois aux demandes de certains musées (Grenoble, en 1995), et France 2 n’investit qu’au coup par coup sur de grosses productions spectaculaires. Les créneaux de diffusion sont inexistants ou dissuasifs (Journal de voyage avec André Malraux, diffusé en catimini sur France 2, en novembre 1996, entre minuit et 3h du matin).
Malgré ce constat défavorable, une majorité de musées reconnaît l’importance capitale d’un partenariat avec la télévision, qui déclenche les aides automatiques du Centre national de la cinématographie (CNC) et assure une diffusion. Le Musée d’Orsay a adopté une politique significative en ce sens, puisque, selon Laurence Madeline, responsable des productions audiovisuelles, aucun projet ne se décide sans l’accord préalable d’une chaîne de télévision.
Pierre Coural, responsable des productions audiovisuelles et interactives au Musée du Louvre, est plus nuancé. Il admet que certains films, s’adressant à un public spécialisé, ou tout au moins amateur, n’intéressent pas les télévisions, mais il ne renonce pas pour autant à les produire (comme par exemple, les Entretiens du Louvre). Leur diffusion se fait alors sous forme de cassettes-vidéo, dont les ventes sont minimes et difficilement chiffrables. Il affirme cependant que la collaboration de personnalités d’horizons différents (producteurs privés, télévisions, musées) suscite une pluralité de points de vue qui contribue à enrichir les films et à les rendre accessibles au public.
Contrairement au Louvre et à Orsay, le Centre Georges Pompidou s’est doté, dès l’origine, d’un important équipement de production (studio de tournage, régie vidéo, bancs de montage, studios son…). Par conséquent, sur la vingtaine de documentaires entrepris chaque année, l’apport en industrie prévaut sur l’argent frais, limitant d’emblée le rôle éditorial de l’institution. La majorité des réalisateurs viennent uniquement pour boucler le financement de projets déjà très avancés, recherchant finalement plus une aide à la création qu’un véritable partenaire de coproduction.
La plupart des musées municipaux ne bénéficient pas de ligne budgétaire consacrée à l’audiovisuel. "La vocation du musée n’est pas de faire de l’audiovisuel, c’est une activité annexe. Les conservateurs doivent trouver des sponsors", déclare Lucien Luccioni, conseiller municipal délégué aux Musées de Marseille. Alain Nicolas, conservateur en chef du Musée d’arts africains, océaniens, amérindiens installé à la Vieille Charité, déplore la complexité des négociations avec les télévisions. Toutefois, grâce à un partenariat avec Hypervision, les Films d’ici et le soutien régulier du ministère de la Coopération, il persévère dans un projet de série thématique sur le devenir des artistes issus de sociétés traditionnelles face au marché international de l’art.
Les musées français ont une position privilégiée en matière de production audiovisuelle. Leur mission de service public permet une création qui serait impossible autrement. Cependant, quel est l’intérêt d’une production dont la diffusion n’est pas assurée ? Il faut espérer que la multiplication à venir des chaînes thématiques permettra de remédier à cette situation.
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Les musées passent mal l’écran
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°32 du 1 janvier 1997, avec le titre suivant : Les musées passent mal l’écran