La première Biennale internationale d’architecture de Rotterdam a débuté le 6 mai avec quelques ratés. Centrée sur le thème de la “Mobilité”?, elle s’attache beaucoup trop au mobile, la voiture, pour presque oublier l’immobile, en l’occurrence l’architecture, son propos.
ROTTERDAM - Aux Pays-Bas, mieux vaut être reine que journaliste. En particulier si l’on vient visiter la première Biennale internationale d’architecture de Rotterdam, précisément le jour réservé à la presse, mais avec vingt-quatre heures d’avance sur la souveraine batave. Ce 6 mai, le retard était tel que la quasi-totalité des expositions n’étaient pas montées. Le lendemain, en revanche, Sa Majesté la reine Beatrix a pu inaugurer, comme si de rien n’était, la première grande manifestation consacrée à l’architecture jamais offerte en son royaume. Plusieurs édifices emblématiques ont, pour l’occasion, été occupés. Le Nederlands Architectuurinstituut (NAi) (Institut néerlandais d’architecture) évidemment, ainsi que, dans le quartier Kop van Zuid, au sud de la ville, deux vastes entrepôts de l’époque des colonies, fraîchement réhabilités : Las Palmas et Pakhuis Meesteren.
Au NAi, l’exposition majeure, “World Avenue”, a des faux airs de “Mutations”, manifestation sur la ville contemporaine présentée fin 2000-début 2001 au Centre d’architecture Arc en rêve, à Bordeaux. Elle montre, chiffres et photographies à l’appui, un panorama actuel de ce monde urbanisé et mutant. Thème choisi : la “Mobilité”. “Aujourd’hui, lorsque nous parlons de mobilité, observe Luisa Maria Calabrese, directeur de recherche pour la Biennale, nous invoquons immédiatement la voiture ou tout autre moyen de transport. Jamais, curieusement, nous ne pensons à ce qu’il y a autour, à savoir le design et l’architecture. L’objectif de cette Biennale est donc de montrer qu’il existe bien un lien primordial entre eux.”
Volants et pare-brise
Malgré la débauche effrayante d’informations, “World Avenue” se fait ludique lorsqu’elle met l’accent sur neuf mégalopoles ou régions : Los Angeles, Mexico City, Tokyo, Pékin, Jakarta, Beyrouth, Budapest, enfin la vallée de la Ruhr (Allemagne) et “The Pearl River Delta” (Chine), la fameuse région du “Made in China”. Sur neuf podiums, donc, trône une voiture emblématique de chaque entité (exemple : une Volkswagen Coccinelle pour Mexico City), devant laquelle est diffusé un film réalisé dans la ville concernée, en conduisant. Il suffit alors de s’installer au volant pour s’imaginer circuler à Beyrouth, Los Angeles ou Jakarta, avec en prime de la musique locale diffusée par l’autoradio.
À l’étage, “Motopias” raconte, sous forme de vidéos, quelques plans d’urbanisme légendaires, réalisés ou pas, tels la Broad Acre City de Frank Lloyd Wright ou les plans “Rio” et “Obus” de Le Corbusier. En guise d’écran : sept pare-brise. De prime abord, l’idée paraît séduisante, sauf que, budget de traduction restreint oblige, la bande audio est presque intégralement en néerlandais. Plus loin, “Holland Avenue”, réflexion menée par onze écoles d’architecture à travers le monde, montre une vision prospective de l’autoroute néerlandaise en 2020 ou, plus exactement, de l’esthétique qui pourrait la border. Partout, la voiture est si présente qu’on a parfois l’impression d’être dans un salon de l’auto. Pourquoi cette procession de véhicules en tout genre sous les arcades mêmes du NAi ? Idem dans les entrepôts de Kop van Zuid, avec un casting de belles Américaines des années 1950 (Pontiac, Chevrolet, Cadillac…). Même la scénographie générale, plutôt pauvre, se plie aux codes de la route : un simple rouleau de moquette colorée se déroule entre les cimaises, tels ces minicircuits que la sécurité routière déploie dans les cours d’école (sic !).
Bref, la Biennale s’enferre quelque peu au ras du bitume, provoquant le désagréable sentiment que l’“architecture de la mobilité” n’est concevable que si elle obéit au ruban d’asphalte. Il faudra impérativement grimper dans les étages de Las Palmas pour la voir (enfin) pointer le bout de son nez. Sur le stand français, cette esthétique de la mobilité se glisse sous un viaduc ou s’ébroue sur des échasses, voire se fond littéralement dans les mouvements du terrain. La scénographie est modeste et néanmoins efficace. Plus haut, “MOb-LAb”, pour “Mobility-Laboratory”, réunit 88 projets internationaux, dont la moitié de néerlandais et une dizaine de français. Certains sont plutôt loufoques comme les “Parasites” des Allemands de Remote-Controlled, microarchitectures qui viennent s’agripper sur les immeubles existants, ou ce boulevard californien bordé d’immenses lampadaires roses surmontés de palmiers géants, imaginé par le paysagiste Adriaan Geuze. Problème : hormis une poignée de projets que l’on sait en chantier, comme ce “quartier souterrain” de Rem Koolhaas à La Haye ou la nouvelle foire de Milan de Massimiliano Fuksas, rien n’indique si l’on est face à un projet réalisé, en passe de l’être, ou s’il s’agit de travaux d’étudiants.
Reste qu’à Rotterdam, la mobilité aujourd’hui, c’est peut-être aussi ces deux Anglais, l’architecte William Alsop et l’artiste Bruce McLean, qui ont franchi la Manche pour venir, en quatre heures, tracer à même les murs de la galerie RAM (1), Upwardly Mobile, une œuvre dynamique aux lourds traits de peinture. Ou ce jeune architecte japonais, Riuyi Fujimura (2), en post-diplôme au Berlage Institut de Rotterdam, qui a traqué à Tokyo, Londres, Rotterdam et New York, des “PET Architectures” ou micro-habitats urbains, dont il a reproduit une photo et un dessin technique sur une série de tee-shirts. Ou encore cette pièce de Joep van Lieshout garée dans la cour du musée Boijmans van Beuningen : une Mercedes 300 TD, version pick-up avec mitrailleuse intégrée. Voire ce vieux bus DAF transformé par l’artiste Ton Matton en Natuur Reservaat (réserve naturelle), une véritable jungle ambulante.
(1) Blekerstraat 10.
(2) Jusqu’au 15 juin à TENT, Centrum Beeldende Kunst, l’annexe du centre d’art Witte de With (Witte de With Straat 50).
Jusqu’au 7 juillet, Nederlands Architectuurinstituut (NAi), Museumpark 25, Rotterdam, et divers lieux, tél. 31 10 476 23 40, tlj 10h-17h, we 11h-17h ; programme, consulter le site : www.biennalerotterdam.nl
L’accès à la totalité de l’article est réservé à nos abonné(e)s
Les mobiles d’une biennale
Déjà abonné(e) ?
Se connecterPas encore abonné(e) ?
Avec notre offre sans engagement,
• Accédez à tous les contenus du site
• Soutenez une rédaction indépendante
• Recevez la newsletter quotidienne
Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°172 du 30 mai 2003, avec le titre suivant : Les mobiles d’une biennale