Le Musée du quai Branly consacre une exposition à ceux qui sont chargés de négocier avec le chaos : les maîtres du désordre, anciens et contemporains, occidentaux et orientaux, chamans et artistes…
Ils se sont apprivoisés à la faveur d’une exposition. Jean de Loisy, grand prêtre de l’art contemporain, récemment promu à la chefferie du Palais de Tokyo, grand ordonnateur de « La Beauté » en 2000 à Avignon, des « Traces du sacré » au Centre Pompidou en 2008, et Bertrand Hell, ethnologue et professeur à l’université de Franche-Comté, auteur de Possession et chamanisme sous-titré Les maîtres du désordre. « Le dernier des sauvages », comme l’appelle affectueusement le premier. La collaboration n’allait pas de soi, elle est devenue une évidence.
Des œuvres venues du monde entier
Le parcours de leur exposition, organisée en trois grandes parties, suit la logique du chamanisme : l’ordre imparfait, la maîtrise du désordre et la catharsis. Suivant que le patrimoine est vivant, l’exposition adopte une conception vitaliste. Il faut donc faire connaissance avec ceux qui sèment
le désordre, les spécialistes comme Dionysos (glouton, jouisseur, pochetron), le shintoïste très énervé Susano’o (violeur, parricide et fratricide), Sekhmet. Quelles que soient les origines géographiques et les époques, ils ont pour point commun d’afficher des visages courroucés, de déstabiliser leur monde, d’impressionner.
Répondant à un principe analogique et sensible, l’exposition rassemble des merveilles du monde entier. Seulement vingt-cinq à trente pour cent des œuvres proviennent des collections maison, preuve du caractère exceptionnel de la rencontre avec ces maîtres du désordre. Le Musée Peabody de Cambridge a laissé venir un masque d’oiseau cannibale raven de Colombie-Britannique et, exceptionnellement, le musée de Saint-Pétersbourg a laissé partir un costume de chaman evenk. Il est au centre de la deuxième partie consacrée à la maîtrise, aux rites, à l’initiation : l’effectivité du chamanisme. Comment se déroule la désignation par les esprits puis le voyage cosmique qui va conduire à la transformation de soi afin de parvenir à la découverte des secrets.
Pour le spectateur, une expérience sans pareille
L’approche sensible a été convoquée afin que rien ne soit figé, que le spectateur se transforme tout aussi pleinement au cours de cette expérience parfois effrayante. Il est confronté à la maladie, au dépècement de statues sri lankaises impressionnantes. Il y aura un avant et un après. Seul détour documentaire, l’arbre des initiés est une installation vidéo qui rassemble treize entretiens avec des chamans professionnels et un avec la chorégraphe et danseuse Anna Halprin.
Bertrand Hell tenait à quitter l’interprétation du chamanisme afin d’offrir la parole simple, directe et charismatique de ces professionnels. En dehors de ces témoignages, l’exposition abonde en objets plus ou moins précieux, plus ou moins abscons pour le visiteur. Son apprentissage doit se dérouler par analogie, par recoupement pour parvenir à la phase de catharsis, une possession au sens collectif. Les fêtes d’hiver, le carnaval et ses trognes et puis la caravane étrange d’Arnaud Labelle-Rojoux. La mission de Jean de Loisy n’est pas de confiner le chamanisme dans une vision archaïque, mais bien d’en exposer la vitalité et la persistance. Nous avons besoin de désordre pour avancer.
Un antidote salvateur dans des temps hantés par l’ordre et la morale.
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Les maîtres du désordre
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans L'ŒIL n°646 du 1 mai 2012, avec le titre suivant : Les maîtres du désordre