Deux expositions passent au crible les collections du musée new-yorkais
NEW YORK (de notre correspondant) - "Goya in the Metropolitan Museum of Art" rassemble 300 œuvres, dont les 54 dessins de l’artiste qui font la fierté du musée. Cinquante d’entre eux ont été achetés à Paris, en 1935, en enchérissant contre le Louvre ; les quatre autres ont été acquis depuis. Ajoutés aux gravures, qui vont de Los Caprichos à La Tauromaquia, le musée détient la plus belle collection d’œuvres graphiques de Goya hors d’Espagne.
Les peintures, en revanche, se révèlent inégales. Même si le Met possède d’incontestables chefs-d’œuvre, tels Don Manuel Osorio Manrique de Zuñiga (Le garçon en rouge), célèbre dans le monde entier, et le ténébreux José Costa y Bonells (Pepito). Ces deux toiles figurent parmi les sept tableaux de l’artiste dont le musée retient aujourd’hui l’authenticité, alors que le catalogue sommaire des peintures européennes, établi en 1980, lui en accordait douze.
Malgré les doutes exprimés ces dernières années au sujet de plusieurs peintures de Goya conservées au Met, c’est seulement après l’exposition Havemeyer de 1993 que les cinq "Goya" légués par Mme H. O. Havemeyer, en 1929, furent soumis à un nouvel examen qui leur fut fatal.
"Très certainement un pastiche"
Alors que la disgrâce de la Ville sur un rocher n’est plus un mystère – on y voit aujourd’hui l’œuvre d’un imitateur du XIXe siècle qui pourrait être Eugenio Lucas –, le Portrait de Doña Narcisa Barañana de Goicoechea, du legs Havemeyer, jusque-là non contesté, vient d’être rétrogradé au statut d’œuvre "attribuée à". Susan Stein, conservateur adjoint au département des Peintures européennes – qui a apporté son concours à cette exposition organisée par Colta Ives, conservateur au département des Dessins et des gravures –, le condamne même sans appel, comme étant "très certainement un pastiche".
Le plus célèbre des Goya de la collection Havemeyer, les Majas au balcon, est au cœur d’un débat qui oppose, au sein du musée, Gary Tinterow, conservateur des peintures du XIXe siècle, à son confrère, Hubert von Sonnenburg. D’après Tinterow, le tableau du Met serait une copie ancienne d’une toile ayant appartenu à la collection de Louis-Philippe – exposée autrefois au Louvre, dans la Galerie espagnole –, et conservée aujourd’hui dans une collection privée, en Suisse. Sonnenburg défend, lui, l’authenticité du tableau. Le musée s’étant fait prêter les Majas de l’ex-Galerie espagnole pour l’accrocher à côté de la version Havemeyer, les visiteurs pourront juger par eux-mêmes.
Dix-huit Rembrandt exposés
Alors que les recherches sur les élèves et les imitateurs de Goya en sont encore à leurs balbutiements, les débats scientifiques à propos de l’œuvre de Rembrandt mobilisent les spécialistes depuis le début du siècle.
Bien avant les fameuses révisions drastiques imposées par le Rembrandt Research Project, le contenu du catalogue raisonné de l’artiste a considérablement varié au cours du temps.
Entre les quelque 300 œuvres répertoriées par W. R. Valentine et l’approche très stricte de John C. Van Dock – qui n’acceptait que 50 tableaux autographes, en 1921 –, chaque période a eu "son" Rembrandt et sa propre acceptation de ce qui est ou n’est pas une œuvre de Rembrandt.
Ces questions sont au centre de l’exposition du Metropolitan, qui présentera, pour la première fois, tous les tableaux de Rembrandt et de son entourage conservés dans les collections du musée : en tout, 18 Rembrandt, et 22 œuvres qui furent considérées comme étant de sa main à une époque ou une autre, auxquels s’ajoutent plusieurs travaux de ses élèves. Une importante sélection de dessins et de gravures de l’artiste vient compléter cet ensemble.
Beaucoup de faux Rembrandt du XVIIe
"À l’époque du symposium de Chicago, en 1969, explique Walter Liedtke, conservateur des Peintures européennes et cocommissaire de l’exposition avec Sonnenburg, il était couramment admis, suivant Horst Gerson, que beaucoup de faux Rembrandt dataient des XVIIIe et XIXe siècles. Aujourd’hui, nous considérons au contraire que beaucoup de ces toiles datent du XVIIe siècle."
Parmi les œuvres récemment restaurées en vue de l’exposition, se trouvent Le Christ et la Samaritaine, Saskia en Flore, L’Homme à la cuirasse d’acier, Bethsabée à sa toilette et la Vieille femme se coupant les ongles.
Leur nettoyage a parfois ménagé d’heureuses révélations : Bethsabée a retrouvé une allure qu’elle avait perdue depuis des décennies et s’est révélée être une œuvre autographe, quoique très endommagée (Gerson, après d’autres, avait estimé qu’il s’agissait d’un tableau d’élève, retouché par Rembrandt) ; Saskia en Flore est bien l’œuvre de Govaert Flinck, comme beaucoup de spécialistes le soupçonnaient. Mais la restauration n’a pas résolu tous les problèmes. Comme pour Goya, plusieurs cas restent pendants.
Catalogue en 2 volumes contradictoires
En raison d’approches divergentes (ou peut-être pour satisfaire deux personnalités très marquées), le catalogue est édité en deux volumes, et présente souvent de grandes différences entre les auteurs : Liedtke pour l’un, et Sonnenburg pour l’autre. Par exemple, Sonnenburg, suivant Gerson, défend bec et ongles l’authenticité autographe du Christ et la Samaritaine, alors que Liedtke remarque : "Même s’il possède d’éminentes qualités, il me séduit moins depuis qu’il a été nettoyé. J’ai eu l’idée qu’il pourrait être de Constantin Renesse, mais s’il est de Renesse, il faut bien reconnaître qu’il est meilleur que toutes les œuvres que nous connaissons de lui."
À propos de la Vieille femme se coupant les ongles, Sonnenburg opte pour Nicholas Maes, d’après les similitudes avec l’Apôtre Pierre du même Maes, à Cassel, sur lequel le conservateur a travaillé. Pour sa part, Liedtke estime qu’il s’agit d’une œuvre d’Abraham van Dyck, un élève de Rembrandt peu connu, originaire de Dordrecht comme Maes, et qui, note Liedtke, vivait d’ailleurs "dans la même rue".
Des jugements toujours relatifs
L’Amiral et son épouse pourrait être de Ferdinand Bol ou de Jan Victors. "Un Victors du début me paraît une bonne hypothèse, remarque Liedtke, mais Deborah Miller, qui a fait une thèse sur Victors, ignore pourquoi on a renoncé à l’attribuer à Bol !"
Le Christ et les pèlerins et le Portrait d’un homme ont été attribués à des élèves anonymes. Toutefois, Sonnenburg émet l’hypothèse que le premier pourrait être une œuvre de jeunesse d’Aert de Gelder.
Mais la divergence la plus criante entre les deux cocommissaires éclate à propos du Portrait de femme de 1633 : Liedtke y voit un authentique Rembrandt, alors que pour Sonnenburg, il ne s’agit que d’une excellente copie de la fin du XVIIe siècle.
Passant en revue les générations de spécialistes qui l’ont précédé, Sonnenburg se demande, en guise de conclusion :"Combien de "Rembrandt" déclassés peuvent-ils être attribués à coup sûr à d’autres peintres ? C’est la raison pour laquelle cette exposition n’est pas et ne saurait être considérée comme notre dernier mot sur l’authenticité des Rembrandt du Metropolitan."
Goya at the Metropolitan, jusqu’au 31 décembre, Rembrandt/Not by Rembrandt, du 10 octobre au 7 janvier, Metropolitan Museum of Art, New York, tél. 212-570 3951, 9h30-17h15, ven. et sam. 9h30-20h45, fermé le lun. Catalogues édités par Abrams.
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Les Goya et les Rembrandt du Metropolitan revus et corrigés
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°18 du 1 octobre 1995, avec le titre suivant : Les Goya et les Rembrandt du Metropolitan revus et corrigés