Les gestes simples de Pierrette Bloch

Cependant, la similitude s’arrête là. Confrontés aux immenses toiles de Soulages, réalisées avec des gestes amples, les travaux de Pierrette Bloch (1928-2017) se révèlent discrets, voire modestes. Il s’agit de feuilles de papier, parfois marouflées sur toile, de taille réduite, recouvertes par une multitude de signes mystérieux, plus ou moins serrés. Ces signes, alignés selon une logique scripturale apparente, forment une pseudo-écriture, un langage secret. Devant ces « lettres » inconnues, faut-il admettre que l’opposition supposée entre l’écriture et l’image soit poreuse, et que le sens flotte dans cet espace d’incertitude ? Écoutons Klee, ce maître des lettres enchanteresses, qui disait déjà : « Écrire et dessiner ont un enracinement commun. » Et Alechinsky d’affirmer : « Le dessin : l’écriture dénouée et renouée autrement. » Nouer, c’est là l’autre activité de Pierrette Bloch. Sur un mur, elle tend une ligne en fil de nylon ou une tige de verre, et forme avec des fils de crin des nœuds de tailles différentes, qui jouent avec leurs ombres projetées sur le mur. Les intervalles variables entre les nœuds, les fils isolés qui échappent, évoquent une partition musicale saccadée. Ici, la régularité n’est pas considérée comme un critère de qualité esthétique, car Bloch réinvente sans cesse sa manière de faire, sa façon personnelle de nouer. Radicale, elle déclare : « Pas de points. Pas de nœuds savants. Rien de ce qui relève d’une virtuosité artisanale, d’un savoir-faire séculaire. » Nouer, tisser, font ainsi partie de ces gestes primordiaux – l’empreinte, la lacération, l’incision – choisis par les artistes contemporains. À l’opposé de la fascination pour la modernité, en marge de la perfection obtenue par la technicité, ces gestes transgressent les codes d’un système établi et produisent une parole singulière, un « langage pour un ».